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Keep Watching the Skies! nº 49, juillet 2004

Stephen King : Roadmaster

(From a Buick 8)

roman fantastique ~ chroniqué par Philippe Paygnard

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1979 : Ennis Rafferty et Curtis Wilcox, deux policiers de la route de Pennsylvanie, se trouvent face à une véritable énigme. Un étrange conducteur s'est littéralement évaporé en laissant sa voiture devant l'une des pompes de la station-service de Statler. Bradley Roach, le pompiste, se retrouve donc avec une ardoise de sept dollars et une Buick couleur bleu nuit sur les bras. Le mystère s'épaissit encore lorsque les deux policiers se rendent compte que le véhicule, qui semble pourtant cultiver une réelle ressemblance avec une Buick Roadmaster, n'a pas pu sortir d'une chaîne de montage automobile. En l'absence de motorisation, l'engin est remorqué au QG de la Compagnie D de la Police d'État.

2002 : Ned Wilcox, dix-huit ans, vient de perdre son père, Curtis. Alors qu'il effectuait un banal contrôle routier ce dernier a été écrasé par un chauffard ivre mort, Bradley Roach. Le jeune homme a beaucoup de mal à accepter cette mort profondément injuste. Il passe maintenant tout son temps libre dans les locaux de la Compagnie D, donnant de petits coups de main aux collègues de son père. Pour aider Ned à faire son travail de deuil, le sergent Sandy Dearborn décide alors de lui raconter l'histoire de la Buick Roadmaster. Il tient à lui parler de ce mystère à quatre roues dont Curtis Wilcox était devenu un véritable expert et que la Compagnie D conserve sous étroite surveillance depuis 1979.

Lorsque Stephen King donne le premier rôle d'un de ses romans à des policiers, on peut être certain qu'il ne peut en aucun cas s'agir d'un polar classique. L'auteur de Christine [1] invite ainsi ses lecteurs à découvrir de nouvelles contrées aux marches du fantastique et à deux pas de l'horreur. Petit King par la taille, à peine plus de quatre cents pages, Roadmaster est un roman qui semble avoir eu du mal à naître. Il a fallu presque trois années à Stephen King pour transformer une idée en roman. Trois années de recherche sur la Pennsylvanie, sur les Amish, sur la police de la route, mais surtout trois années de remise en question après ce stupide accident de la circulation dont Stephen King a été victime en juin 1999. Renversé par un chauffard, il a connu plusieurs opérations chirurgicales et une longue convalescence avant de récupérer une totale autonomie physique et de retrouver sa passion pour l'écriture.

Bien que la première ébauche de ce livre ait été finalisée avant cet accident, il semble évident que Stephen King, même s'il s'en défend énergiquement dans sa postface, a transformé la rédaction finale de son roman en une véritable et bénéfique thérapie. En mettant en scène des policiers habitués aux pires accidents de la route, en décrivant par le menu la tragique disparition de Curtis Wilcox, il a d'une certaine manière exorcisé par l'écriture le drame qu'il avait vécu. Volontairement ou non, ce roman est une sorte d'exutoire vis-à-vis de cet événement tragique lui permettant de repartir d'un bon pied dans la vie comme dans l'écriture.

En elle-même, la trame de base de Roadmaster n'a rien de véritablement original et n'est pas nouvelle dans l'œuvre de Stephen King. On retrouve une fort classique lutte du Bien, représenté ici par les membres de la Compagnie D de la Police d'État de Pennsylvanie, contre le Mal incarné par cette Buick Roadmaster couleur bleu nuit. Une telle configuration fait notamment penser au Club des ratés qui s'unit pour affronter le clown maléfique de Ça, ou aux quatre copains du Trou qui jouent leur vie dans un combat contre le terrifiant M. Gray dans Dreamcatcher. Stephen King n'est cependant pas du genre à écrire toujours le même roman, même si la thématique est identique, ces trois romans ne le sont ni par l'ambiance générale, ni par la narration.

L'histoire de Roadmaster est ainsi bâtie sur la base des souvenirs des policiers de la Compagnie D. À tour de rôle, ils racontent ainsi à Ned Wilcox les évènements mystérieux, inquiétants ou tragiques dont ils ont été les témoins ou les acteurs et dont la source n'est autre que la Buick Roadmaster ramenée par son père au QG de la compagnie bien des années plus tôt. Alternant le passé et le présent, tout en faisant se succéder les narrateurs, King nous dévoile ainsi, en même temps qu'à Ned, la suite de faits étranges et parfois mortellement dangereux générés par cette voiture venue de l'enfer ou d'ailleurs. Par la voix des différents intervenants, le romancier se contente d'énumérer la succession d'évènements étranges sans donner une quelconque explication sur l'origine de cet engin, sur sa nature, sur ses motivations ou sur ses buts. Les seules tentatives d'explication sont celles de Curtis Wilcox, spécialiste ès Roadmaster et des autres membres de la Compagnie D. Plus surprenant encore pour les fans de Stephen King, ce dernier n'a pas situé l'action dans ce Maine imaginaire qui sert de décor à la plupart de ses romans, de ses nouvelles et de ses scénarios. Il n'y a ainsi aucune référence directe ou indirecte aux villes bien connues de Derry ou de Castle Rock, ni à l'univers parallèle de la Tour Sombre, même si Roland le Pistolero aurait fort bien pu affronter certaines créatures nées des colères de la Roadmaster.

Au passage, et avant de conclure, on peut constater que ce nouveau roman du King a pris son temps pour traverser l'Atlantique. Publié en 2002 aux États-Unis, il a même été dépassé en chemin par le recueil de nouvelles Tout est fatal et par cet étrange objet littéraire intitulé le journal intime d'Ellen Rimbauer.

Roadmaster peut certainement passer pour une œuvre mineure dans l'imposante bibliographie de Stephen King, mais c'est un livre qui reste très intéressant par le travail que l'auteur fait sur des personnages éminemment humains, faillibles ou héroïques selon les circonstances, face à des évènements extraordinaires et inexplicables, mais aussi par l'évident travail d'introspection qu'il réalise, consciemment ou non, à travers ce roman.

Notes

[1]  Référence obligée puisque Christine, tout comme Roadmaster, donne le rôle principal à une voiture. Il ne semble cependant y avoir aucun lien entre la célèbre Plymouth Fury 58 et la Buick Roadmaster venue d'ailleurs.