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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 44 Choke & Fight club

Keep Watching the Skies! nº 44, août 2002

Chuck Palahniuk : Choke & Fight club

(Choke & Fight club)

romans de littérature générale et de Science-Fiction ~ chroniqué par Éric Vial

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Paru aux États-Unis en 1996, traduit en 1999, et surtout ayant fait l'objet d'un film mémorable, Fight club est impressionnant. Et ne relève pas exactement de la littérature mimétique. Reste qu'on peut se demander ce qu'il fait dans une collection de S.-F. Même ouverte à la Fantasy, au bizarre, tout ce que vous voulez.

Tout est vu du point de vue du narrateur. À commencer par ses rapports avec Tyler. Sur lesquels vous avez quelques idées, si vous avez vu le film. Ce qui n'enlève d'ailleurs pas grand-chose au récit. Dont vous découvrirez le fin mot vers la fin du volume, dans le cas contraire. Dans des groupes de soutien pour grands malades où il va se remonter le moral. Dans les Fight clubs, lieux où on se cogne allègrement, comme l'indique à peu près leur nom. Que Tyler crée. Dans une maison louée et transformée en manufacture de savon artisanal. Et dans le cadre du Projet Chaos. Jusqu'à une forme de paradis, tout blanc tout propre.

Les Fight clubs relèvent sans doute de la sociologie-fiction. Parce que c'est un phénomène de société. Un moyen de se venger de la médiocrité quotidienne, mais aussi d'acquérir une sûreté de soi exceptionnelle. Un yoga douloureux. Un zen cruel. dans un réseau évident. Avec des traces visibles, même si la règle numéro un est de ne pas en parler. Traces dont on ne semble pas avoir l'équivalent dans notre monde. Un réseau qui débouche sur des incidents visibles. À travers une sorte de secte inspirée de quelques règles de monastère boudhiste. Visibles mais pas trop. Attribuables à autre chose. Tout ce qui se déglingue ne peut pas être attribué à un vaste complot. Donc tout est résorbable dans notre monde. Sans changement. Comme dans le Fantastique. Sauf qu'il n'y a tien là de surnaturel. Sauf l'interprétation la plus rationnellement médicale de la figure traditionnelle du double, si l'on peut ici vendre la mèche. Le jeu entre Fantastique, ou plutôt Horreur, et rationalité est d'ailleurs redoublé. Demandez-vous comment faire des savons de graisse humaine sans trucider personne. Et le rapport que ça a avec l'ingurgitation de pâtisseries par une quasi-belle-mère.

Ce jeu aux marges est lui-même sous-tendu par des frustrations. Qui pourraient être, en tirant un peu sur la ficelle, celles de la classe moyenne inférieure, celle des amateurs de S.-F. selon Gérard Klein. Encore qu'il ne s'agisse guère de science. Mais un peu d'horreur économique quand le responsable des rappels d'un fabriquant d'automobiles doit calculer si le coût de l'indemnisation des victimes d'accidents potentiels sera ou ne sera pas supérieur au rappel de tous les véhicules d'un modèle ou d'une série, quitte d'ailleurs à accumuler ainsi les informations dérangeantes — de quoi alimenter quelques phantasmes de surpuissance. Frustrations d'autre part tout à fait politiquement incorrectes, qu'il s'agisse de culture ou d'écologie, qu'il soit question dans quelques tirades aussi exaspérées que réitérées de brûler le Louvre et de s'essuyer le cul avec la Joconde, ou de bousiller définitivement poissons et plages sous le pétrole, en beuglant que si pendant des générations les humains ont salopé la planète, pourquoi cette génération-là précisément devrait-elle faire des efforts — quitte à oublier que ce pourrait être cela ou crever, mais ceci est manifestement une toute autre histoire. Avec inversement une utopie écologique régressive de fin de la civilisation, où « tu iras chasser l'élan dans les forêts ravinées et marécageuses qui entourent les ruines du Rockefeller Center », et où il faudra s'enfermer le soir dans des cages de zoos « afin de se protéger des ours et des gros chats et des loups qui arpentent le terrain et nous surveillent la nuit depuis l'extérieur des barreaux de la cage ». Ce qui rappellera peut-être le Jean-Pierre Andrevon de "le Monde enfin" (Utopies 75 chez Laffont, ce qui ne rajeunit personne), mais aussi, et peu de gens ont dit que c'est de la S.-F., Jean Giono dans l'Intransigeant en 1931, puis dans Solitude de la pitié, écrivant qu' « il n'y aura de bonheur pour vous que le jour où les grands arbres crèveront les rues, où le poids des lianes fera crouler l'obélisque et courber la tour Eiffel ; où devant les guichets du Louvre on n'entendra plus que le léger bruit des cosses mûres qui s'ouvrent et des graines sauvages qui tombent ; le jour où, des cavernes du métro, des sangliers éblouis sortiront en tremblant de la queue ». Texte un peu loin du propos général ? En partie, mais le propos est présent. Comme, côté S.-F., l'idée que les planètes et corps célestes colonisés dans le futur risquent fort de recevoir le nom des grandes entreprises “multinationales mégatonniques” qui les coloniseront — on retrouve “l'horreur économique” sus-nommée.

Autant dire que c'est manifestement comme dans les Tontons flingueurs. De la S.-F., il y en a, mais il n'y a pas que ça, il y a de la betterave aussi. Et s'il y a de la S.-F., c'est qu'il y en a aussi un peu partout dans notre environnement. Dans la publicité, par exemple, même si c'est moins qu'en 1999, année faste. Dans l'imaginaire en général. Mais que le bouquin a quelque chose à voir avec, qui a de bonnes chances d'intéresser l'amateur. Un décalage. Un cousinage. De quoi rôder aux marges. De quoi causer dans KWS.

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Choke n'est pas de la S.-F. Ni du Fantastique ou de la Fantasy. Encore moins que Fight club, ce qui n'est sans doute pas peu dire. Mais d'abord, c'est de l'insolite, pour le moins. Avec une mère enlevant régulièrement son fils, et pratiquant d'étranges formes artisanales de guérilla urbaine. La même dans une maison de retraite, prise dans ses délires comme les autres pensionnaires. Le fils devenu figurant dans un parc à thème reconstituant la vie des Pères fondateurs de l'Amérique. Et obtenant de quoi payer la pension de sa mère en se faisant quotidiennement sauver de l'étouffement dans des restaurants, permettant à de braves gens de se sentir des héros, et obtenant d'eux de l'argent, ensuite et sous divers prétextes. Et assistant régulièrement à des réunions de sexooliques anonymes — on retrouve d'une certaine façon Fight club. Et hébergeant un de ses camarades de travail, de restaurant et de réunions, qui accumule les cailloux de grande taille, et les transporte en les faisant passer pour des bébés.

Dans ce n'importe quoi kaléidoscopique et fascinant, l'amateur de S.-F. peut trouver quelque cousinage. Et pas mal de plaisir de lecture. Mais aussi quelques traces de l'imprégnation de la littérature générale par son genre favori, quand un personnage suggère brièvement que tout cela pourrait n'être qu'une gigantesque mise en scène alimentant un feuilleton télévisé — on voit à quel film il est fait allusion — ; quand il est question d'une insémination artificielle à partir du matériel génétique d'une relique particulièrement importante, ou quand un autre personnage se dit venu de 2556 pour ramener du passé, notre présent, un échantillon génétique destiné à sauver le monde d'une épidémie dévastatrice. Et de ce point de vue, peu importe qu'il s'agisse de délires. La S.-F. est partout. Même dans les livres de littérature générale subrepticement chroniqués dans KWS