Keep Watching the Skies! nº 43, juin 2002
Thomas Day [Gilles Dumay] : Resident evil
roman fantastique ~ chroniqué par Éric Vial
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Il faut bien vivre. Moins gagner sa croûte qu'assurer la pérennité de sa collection. Et comme on ne peut pas toujours compenser des titres excellents mais qui ne se vendent pas (les romans de Barry Hughart, mais aussi l'intégrale des nouvelles de Dick parce que les amateurs étaient déjà pourvus) par des titres excellents qui se vendent, il faut bien tenter de temps en temps un “coup”. Une novellisation. Qui ne mènera certes pas à la nobellisation, mais qui, l'affiche étant récupérée comme couverture, bénéficiera de la publicité pour la sortie du film, si celui-ci ne fait pas un flop mémorable.
Bref, Gilles Dumay a reçu un jour un message destiné à s'autodétruire dans les minutes suivantes. Sa mission, s'il l'acceptait, était d'écrire en trois semaines un roman présentable, à partir du scénario en anglais, de la V.O., de photos pour l'inspiration. Le tout placé dans une enveloppe. Évidemment, si lui-même ou un de ses agents était capturé ou tué, le département commercial nierait avoir eu connaissance de ses agissements.
D'où ces pages en gros caractères, lecture facile assurée. Il faut rappeler qu'en une heure et demie, même avec les prolongations et les arrêts de jeu, un film, c'est le format d'une nouvelle et pas d'un roman. Mais il se passe des choses, pour le moins. Ca se bagarre, ça se dessoude, ça s'entre-étripe joyeusement, que l'on meurt à la pelle, ascenseur fou, écrabouillement, noyade, asphyxie, armes à feu fort ordinaires, coups de pieds retournés briseurs de vertèbres, porte métallique refermée sur une boîte crânienne, presse-papier contondant, découpage au laser, ou boulotage pur et simple parce qu'il faut bien lutter contre l'hypoglycémie. Un personnage peut être décrit, on peut s'attendre à ce qu'il resserve, et il peut être fort rapidement passé de vie à trépas. Ce qui ne veut d'ailleurs pas dire qu'il ne resservira pas ensuite. On recycle pas mal de choses, la dernière phrase du prière d'insérer (« Huit cents mètres sous terre, personne ne vous entend crier ») n'est pas la seule allusion explicite à Alien ; et s'y ajoutent quelques nuits des morts vivants, un peu de Psychose, et pas mal d'espionnage. D'autant qu'histoire d'aggraver les choses, l'amnésie de l'héroïne permet des faux-semblants et des interrogations bien utiles au suspense. Que les rôles de bons et de mauvais sont d'autant plus permutables qu'il ne faut vexer personne — même si en gros, l'entreprise tentaculaire jouant les apprentis-sorciers porte évidemment la plus lourde part de la responsabilité. Et que tout s'accélère au fur et à mesure, parce que c'est la règle du jeu, parce qu'il faut accrocher l'attention du lecteur ou du spectateur, et parce que scénaristes et novellisateurs en ont aussi un tantinet ras-le-bol, d'autant qu'ils doivent tenir les délais.
Tout cela n'ajoutera pas grand-chose au curriculum de Thomas Day. Qui publie des choses bien plus intéressantes. Par ailleurs, il en profite pour conforter sa réputation d'auteur violent dans le topo joint à l'usage de la presse, mais pour ce qui est de provoquer sueurs froides et désordres gastriques, on avait déjà vu choses du même ordre, ou bien plus révulsives, dans la défunte collection "Gore" du Fleuve. Mais après tout, si ça peut remettre du baume au cœur de la comptabilité, et permettre de publier des choses superbes sans trop s'angoisser à l'idée qu'elles pourraient ne pas trouver assez de public dans l'immédiat, tant mieux. Ad augustas per angustas, ou quelque chose comme ça.
Notes
››› Voir autre chronique du même livre dans KWS 44.