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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 43 Marlène Dietrich et les bretelles du Père Éternel

Keep Watching the Skies! nº 43, juin 2002

Pierre Stolze : Marlène Dietrich et les bretelles du Père Éternel

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Éric Vial

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Cela fait un bon bout de temps qu'on nous l'annonçait. Sous un titre légèrement différent. Après Marilyn et Greta, il était question de Brigitte. Jusque dans la liste des œuvres, à la deuxième page de la réédition de Marilyn Monroe et les samouraïs du Père Noël, sous la rubrique “à paraître”. Brigitte, pour la double initiale et le son O final. Peut-être aussi pour Babette, en compagnie de Francis Blanche. Ach So und Ein Zwein. Mais Pierre Stolze a finalement renoncé. Sur avis d'avocats. Craignant un procès de la coupeuse d'âne — allusion à un incident remontant à une bonne dizaine d'années : le malheureux qui avait provisoirement confié son équidé à la dame eut quelques raisons de s'en mordre les doigts. L'animal aussi, si l'on peut dire, et de considérer le mot incident comme faible. Non que dans le roman, l'actrice convoquée n'ait pas un bon rôle, même s'il est relativement bref. Ou que ce soit diffamatoire. Non. Mais le contact prolongé avec les petits camarades d'un ancien électrificateur de l'Algérie, politicien français d'origine bretonne et faux-blond, semble lui avoir donné des goûts procéduriers. Et assez de prétention pour exiger des droits pour l'usage de son nom. Comme certains Auvergnats sur les images de leurs volcans éteints. À vrai dire, d'ailleurs, Marlène convient bien mieux. Un peu parce qu'elle a défié le temps avec une autre classe. Beaucoup du fait même de sa vie. Et de ses engagements.

Bref. On a effectivement la fin de la trilogie, commencée en 1986, ce qui ne rajeunira personne. Et en même temps, c'est un livre qui pourrait se lire de façon tout à fait indépendante. Enfin, du moins jusqu'à la p. 223, début de la troisième partie, où mieux vaut faire appel à ses souvenirs. On y est d'ailleurs aidé par des rappels des deux épisodes précédents. Et avant, on a eu du Stolze tel qu'on l'apprécie. Certes, un peu moins délirant, moins accumulateur, moins surréaliste que pour Marilyn. Mais n'oubliant pas l'aventure, tout en jouant beaucoup avec les références. Pour écrire d'abord à ce qui ressemble fort à une histoire de Fantasy historico-asiatique. Avec de la science, beaucoup, de la fiction, sans modération, mais pas vraiment de Science-Fiction, cette appréciation n'étant d'ailleurs en rien une condamnation. Une histoire d'explorateurs-espions en Asie centrale, nourrie de noms de peuples, de descriptions d'objets, de contes ancestraux, de faits historiques, d'encyclopédisme, de recettes de cuisine à la description du montage d'une yourte mongole. Et de mystère, avec message à décoder, meurtre, quête dans le désert, cité perdue, fourberie, trahison, tempête de sable, proto-seigneur de la guerre, et beauté fascinante au doux parfum. Que l'on retrouvera ensuite, évidemment. Plus, pour la Fantasy, les divinités et leur intervention concrète. Sous forme rongeuse. On est dans le roman feuilleton, avec une certaine délectation initiale à exhiber les ficelles de la narration, façon Brecht, quand après la légende racontée dès la première page de texte, son conteur, qui n'est pas le narrateur, ni l'auteur, enchaîne p. 11 en expliquant qu'il « apprécie grandement quand un roman, quand un récit d'aventures commence par l'exposition de contes surprenants, susceptibles d'annoncer la couleur, de donner d'emblée la tonalité particulière de tout ce qui va suivre, voire d'en dévoiler, sans crier gare, mine de rien, une partie du sens profond ». Et avec de l'aventure, tout simplement, et le souvenir d'Hugo Pratt flotte avec celui du baron fou Ungern von Sternberg, et l'utilisation d'un Raspoutine. Même si on ne verra pas Corto Maltese, et si certaines références peuvent servir de leurre en faisant oublier qu'on a déjà croisé certain individu dans un précédent épisode, dont il était même quasiment éponyme.

On bascule p. 149, sans passer dans la Science-Fiction. On était en 1924, année du rat dans le calendrier chinois, on se retrouve en 1942. Vu du point de vue d'un très haut officier SS. Et il est question des Einsatzgruppen, de l'insurrection du ghetto de Varsovie, des chambres à gaz. Tel élément presque caché de la couverture devient visible alors qu'il ne l'était pas forcément auparavant. Une autre érudition, tout aussi précise que celle déployée à propos des cultures orientales et de leurs pillards occidentaux, et rappelant quelques sinistres faits à tous, y compris à ceux qui voudraient les oublier ou les escamoter — mais ceux-là lisent-ils ce qui ne conforte pas leur monomanie. Même si c'est en moins de pages, quelque quarante : le coup de poing dans la figure est bref, à proportion de ce qu'il est rude. Et les références plus légères qui l'accompagnent, qu'il soit question du rire biblique de la mère d'Isaac ou du sens de la rotation de la croix gammée, ne sont qu'un répit illusoire. Plus dur est le retour aux faits. Même si on retrouve objets et personnages croisés antérieurement, de façon immédiate ou sous forme de souvenirs. Et les rats, dans les propos obscènement haineux de l'officier déjà évoqué, mais aussi dans sa réalité. Ceci avant de passer sans crier gare à 1958. Et à un petit jeu de référence littéraire recyclant un personnage bien connu, sa pipe, son épouse et la blanquette de veau. Parce qu'il n'y a pas que la fin du XIXe siècle qui soit utilisable lorsqu'on a besoin d'un enquêteur, d'un détective ou d'un policier. Et qu'il fallait qu'on ne soit pas trop longtemps après l'enfer. On retrouve personnages, objets, et rats. Sans quitter le roman d'aventure dopé par un peu de merveilleux — côté Nemesis. Et sans oublier les références précises, le rappel de la situation du Tibet sous la botte chinoise, en une année effectivement de tournant et de tourmente, ou, ce qui ne doit rien à l'actualité cinématographique de ce début 2002 et bien plus, derechef, au mot "rat", le rôle de l'Église catholique (et romaine, et apostolique) dans la mise au point de la ligne directe Vatican-Amérique du Sud, qui évita à nombre de criminels nazis de longues attentes aux stations Nuremberg et Spandau. Avec, rappelle l'auteur, la complicité inconsciente de ce pauvre Monseigneur Montini, Giovanni Battista de ses prénoms, dont un personnage, en 1958, affirme que le fait qu'il puisse un jour devenir pape relève de la dérision, et qui, pour nous et depuis 1963, n'est autre que Paul VI — un astérisque, en appel de note, semble indiquer que la précision aurait dû être donnée, et qu'elle a finalement sauté. Comme déjà dit, de la science — ou plus exactement de la culture, beaucoup de culture — et de la fiction. Intimement mêlées. Ceci jusqu'à cette p. 223 elle aussi plus haut citée, où tout se complique sans doute terriblement pour le lecteur naïf qui se croyait dans un mainstream à peine revu, mais où l'amateur de S.-F. se retrouve tout à fait en terrain connu, et celui qui se souvient un peu des précédents ouvrages de Pierre Stolze plus encore. Les souvenirs enfouis reviennent d'ailleurs à la vitesse d'un Mont Saint-Michel au galop, l'auteur les y aidant.

Parce qu'il faut conclure et le roman et la trilogie. Mettre presque en sommeil certains éléments antérieurs. Foncer pour en retrouver d'autres. Et surtout faire défiler en quelques pages les éléments essentiels des deux volumes précédents. Même Lobsang (personnage qui rampa, évidemment, dans un épisode antérieur, bien qu'il ne soit pas en réalité plombier londonien et que bien des lecteurs aient oublié les élucubrations de la feue collection "l'Aventure mystérieuse" de chez J'ai lu). Mais aussi et surtout Pompéi, et la planète Écho, et avec elle toute la cosmogonie ou l'histoire du futur qui sous-tendent l'affaire, avec les enfants pérégrins voyageant de “porte” en “porte” à travers l'espace et le temps. Et l'investigateur Peyr de la Fièretaillade, donc le Père Noël. Et la mère Noël, donc Marilyn. Et le fils Noël. Et le Père Fouettard, donc Raspoutine si ce n'est Rat-spoutine. Et la petite Consuela. Et la plante à voyager dans le temps. Mêlés aux objets fondamentaux traversant les deux parties précédentes. Et à un Luna Park, pour le principe et sans doute au nom de la théorie de la Science-Fiction comme littérature d'images. Plus les personnages survivants des épisodes précédents. Pour que l'on retrouve une fois de plus le premier narrateur, et que le destin de celui-ci s'accomplisse. Mais aussi pour que son lien avec Peyr de la Fièretaillade soit précisé, encore qu'il s'agisse d'une ficelle de roman populaire qui ressemble fort à un câble de marine. Tandis que viennent également du roman populaire — et de la formation académique de l'auteur — le recyclage approximatif de vers classiques (« la bouleversante beauté de cette nudité brutalement arrachée au sommeil ») ou les formules façon Ponton du Sérail (le narrateur « prie in petto et en latin »). Et des épisodes qui auraient fait les beaux jours du Fleuve Noir, rayon Anticipation, mais qui sont là expédiés en peu de lignes, voire traités purement par prétérition, qu'il s'agisse de l'attaque de Pompéi par une navette spatiale, ou de celle d'un satellite géostationnaire peuplé de droïdes par un commando de samouraïs. Si.

Tant pis si Marlène arrive tard, puisqu'elle est à sa place, et bien mieux dans son rôle que la sénescente amie des bébés-phoques et de l'extrême-droite réunis initialement prévue dans le casting. Tant pis aussi, puisqu'il faut faire des reproches, si le bleu profond qui était un peu la marque de fabrique de l'éditeur et de la collection a laissé la place à un violet peu heureux, choisi sans doute parce que supposé mieux se marier avec le jaune du sable, des statues d'or, et donc de la couverture. Le seul vrai regret, c'est que la trilogie stolzienne n'aura pas le retentissement qu'elle mérite hors S.-F. Et qui pourrait être celui d'un bon roman d'Umberto Eco. Le parallèle s'impose d'ailleurs, du fait du mélange de littérature populaire et d'érudition, mais aussi à cause d'un élément présent et même moteur dans le Nom de la rose, l'éloge du rire, et du droit de rire. Partout, même si le rire est désespéré. Ce n'est peut-être pas ici central dans le propos, mais cela vaut tout de même d'être noté.

On peut espérer une réédition du deuxième tome sous couverture de Tag, pour l'homogénéité. Ou la reprise dans quelque temps de toute la série en un volume, façon "Omnibus" ou "Bouquins". Ou "Lunes d'encre". Mais en attendant, mieux vaut que vous cessiez de parcourir distraitement mon bavardage glosateur — d'autant qu'il arrive à son terme —, pour vous procurer ce volume. Et le lire. Toutes affaires cessantes. En écoutant en boucle Lily Marlène. Ou Diamonds are a girl's best friend.