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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 24-25 Étoiles vives 1

Keep Watching the Skies! nº 24-25, juin 1997

Gilles Dumay : Étoiles vives 1

anthologie de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Soixante-neuf francs par numéro, abonnement pour quatre numéros : 240 FRF… si CyberDreamss'apprête à changer sa structure de prix, Étoiles vives s'enfile joyeusement dans le même créneau du marché, comme porte-drapeau de la nouvelle maison d'édition de Gilles Dumay, Orion Éditions et Communication.

Avec une différence : il n'y a ici presque pas de portion rédactionnelle — tant mieux, oserai-je ajouter ; car, tout à sa fougueuse dénonciation des travers et de l'inutilité du fandom, notre ami Gilles ne semble pas se rendre compte que son langage aussi codé que naïf le range lui-même dans le fandom le plus profond (à mes yeux, qui sont ceux d'un fan définitivement pourri par la macération dans son propre milieu, je vous l'accorde bien volontiers). Car enfin, quel périodique professionnel passerait en revue ses concurrents dans l'éditorial de son premier numéro, dans le but (bien difficile ici à atteindre) de justifier sa spécificité par rapport à eux ?

Passons donc aux nouvelles, qui sont fort réjouissantes. Une observation facile : il aurait mieux valu ne pas regrouper les trois textes français en deuxième moitié du volume — ils sont suffisamment inférieurs aux trois anglophones pour qu'on s'en aperçoive, et qu'on achève la lecture du recueil sur une impression de déception.

Emmanuel Levilain-Clément n'a pas vraiment encore d'histoire à raconter, ou plutôt une histoire tellement rebattue (celle de la possession extra-terrestre) que la lecture ne peut s'en effectuer que distraitement.

Notre ami et collaborateur Jean-Louis Trudel est impressionnant au niveau astronomique aussi bien qu'astronautique, mais il commence sa propre histoire tellement loin dans le passé de son personnage que les passages qui portent l'essentiel de l'intrigue finissent par paraître ridiculement courts, mesquins au regard de l'immensité du temps et de l'espace qui leur sert d'arrière-plan. Comme ces histoires drôles que les comiques font durer le temps d'un sketch en les surchargeant de maint détail d'ambiance, avant d'en arriver à une chute qui n'aurait mérité que trente secondes de narration préalable. Que les difficultés d'organisation du temps soient inhérentes à un récit situé dans le cadre de vaisseaux lents, grignotant les années-lumière aux vitesses sous-relativistes, soit ; que la mesquinerie soit celle des personnages humains, que l'on veuille la décrire, passe encore ; mais au total il manque à cette histoire un centre de gravité.

Sylvie Denis enfin est celle qui frôle la réussite de plus près. "Magma-Plasma" démarre plutôt bien, enfin, avec un petit parfum d'Agence Arkham (voir ailleurs dans ce numéro !), mais bon. C'est amusant, c'est bourré de rebondissements dans un système solaire éclatant de vie, ça emprunte un bon bout de thématique à Greg Egan, on ne s'en plaindra pas trop. Hélas, l'histoire se termine en queue de poisson, en laissant la moitié des fils de l'intrigue dénoués.

On ne peut pas en dire autant des trois textes traduits (et plutôt bien traduits, ce qui ne gâte rien). Barrington J. Bayley ne raconte pas grand-chose de plus qu'une tranche de vie adolescente, mais dans une société de crabes intelligents — avec les contraintes biologiques des crustacés. Sont-elles compatibles avec une société “civilisée” qui ressemble suspectement à celle qui a pu se développer dans les stations balnéaires britanniques ? Mais, à vrai dire, la sexualité des mammifères est-elle vraiment compatible avec la société civilisée ? Et le concept de station balnéaire avec le climat britannique, for that matter ? Graves questions.

Molly Brown frappe plus dur. Pas le moindre soulagement comique dans cette histoire. On croit qu'il ne va s'agir que d'un tableau dystopique de la société de l'exclusion, à la Journal de nuit de Womack, mais cela va bien plus loin, avec une série de retournements en fin de course dignes des meilleurs textes policiers.

Quant à Paul J. McAuley, il nous fait… du steampunk. Ça ne lui plairait peut-être pas comme étiquette, et ça n'a pas grand-chose à voir avec l'âge victorien, mais son texte a en commun avec ceux de Powers ou la Machine à différences (et bien d'autres) de ré-examiner le passé du point de vue, non pas du passé tel que nous pouvons le connaître, mais du passé vu à travers la littérature que nous lui associons. Sherlock Holmes dominant la fin du xixe siècle britannique, par exemple. Cela dit, sa nouvelle est un tour de force de ce style de révisionnisme, qui brasse un nombre incroyable de références avec culture et goût très sûr du pastiche. Délectable.

Pour ses prochaines livraisons, Étoiles vives annonce entre autres l'excellent "Radio Waves" de Michael Swanwick (une histoire de fantômes technologique qui vaut le meilleur Powers, à ne pas manquer), un nouveau texte de Joëlle Wintrebert (et ce n'est plus si fréquent), un numéro spécial Stephen Baxter, et "Luminous" de Greg Egan (une des très, très rares histoires de S.-F. dans lesquelles les mathématiques soient placées par l'intrigue au centre de l'échiquier, en position d'influer sur le monde. Et qui arrive à m'y faire croire — c'est un mathématicien professionnel qui vous parle). Bref, c'est à ne pas rater. Le seul souhait qu'on pourrait émettre, ça serait que les éditoriaux soient signés d'une autre paire d'initiales, F.V. par exemple, mais enfin si je dis ça trop fort Gilles va me tuer…