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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 21-22 Archangel

Keep Watching the Skies! nº 21-22, septembre 1996

Mike Conner : Archangel

roman de Science-Fiction inédit en français ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Dans notre monde, l'hécatombe de la première guerre mondiale a été prolongée par la grippe espagnole — qui a tué presque autant de gens. Dans l'histoire parallèle postulée par Conner, une épidémie bien pire a pris racine sur les champs de bataille, provoquée par les expérimentations biologiques de l'armée allemande, qui lâche sur l'Europe une variante du virus Ebola de fièvre hémorragique. Le continent ne s'en relève pas, les USA sont durement frappés — seuls les descendants des Noirs africains bénéficient d'une immunité héréditaire.

Nous sommes maintenant dans les années 30, et les Etats Unis sont à nouveau un pays vaste et vide, au sein desquels la ville de Minneapolis — pardon : Milltown — préserve une certaine prospérité, grâce à l'espoir de guérison entretenu par la présence de l'Institut hématologique du Dr Gray. Les notables du Minnesota maintiennent l'activité en encourageant l'immigration de Noirs du Sud pour regarnir les rangs décimés de sa population d'origine anglo-scandinave… mais les nouveaux venus aimeraient bien partager le pouvoir autant que le travail.

Danny Constantine est un jeune photographe de presse que les besoins du moment — son journal n'a plus guère de personnel — transforment en reporter, lancé sur la piste des auteurs d'une mystérieuse série de meurtres vampiriques. Son chemin va croiser celui d'un policier noir révolté par les injustices raciales, mais inflexible dans sa dévotion à la loi, Dooley Willson. Et tous deux découvriront ce que cache la façade pimpante de Milltown, pôle de développement du Nord. Et accessoirement, quelle est l'identité réelle de la jeune femme qui fascine chaque soir les habitants de la ville grâce à ses émissions de radio signées Archangel.

Je n'aurai pas le mauvais goût de vous les déflorer, mais presque toutes les révélations de l'intrigue de ce livre sont évidentes longtemps à l'avance. Sans doute parce que Conner, s'il a imaginé une situation intéressante, s'en remet aux vieilles conventions des pulps en matière d'intrigue et surtout de description des personnages. On sait tout de suite qu'Untel doit être un salaud derrière son vernis de respectabilité… Hélas, Conner tombe dans les mêmes facilités au niveau de l'écriture : phrases trop courtes, dialogues décidément convenus. Si l'emploi par ses personnages d'un argot démodé est justifié par l'époque, je crains fort que l'auteur n'ait emprunté un langage de formes narratives lui aussi démodé. Et comme son roman ne se veut pas un pastiche, il en souffre fort.

Que le sang, dont la perte est la manifestation centrale de la maladie, soit au centre de l'intrigue n'a rien non plus de surprenant. C'est la mode, avec le SIDA. Et la motivation du vampirisme paraîtra évidente aux lecteurs de Jack Barron et l'éternité, par exemple.

Si l'uchronie suppose quelques libertés avec l'histoire telle que nous la connaissons, on en exige une certaine vraisemblance, et Conner frise l'anachronisme en évoquant Ebola — qui dans notre monde n'a été identifié et baptisé [1] qu'en 1976 — et des recherches militaires sur les virus, alors que, si bien des bactéries étaient étudiées et isolées à la fin du xixe siècle, les virus n'ont été visibles aux chercheurs qu'à partir de la mise au point du microscope électronique, dans les années 1930. C'est dans l'extrapolation sociale, objectera-t-on, que le roman trouve sa force. Soit. Et, je n'en disconviens pas, Conner évoque bien la hargne des personnages noirs devant les privilèges conservés des Blancs — même et surtout de ceux qui se veulent bienveillants envers les Noirs, sans jamais se départir d'un inconscient sentiment de supériorité. Je me demande toutefois si, en centrant son roman sur l'extrême Nord des USA, où les Noirs arrivent presque comme des immigrants, l'auteur n'évite pas le théâtre d'action principal, le nouveau centre de pouvoir économique qu'aurait dû devenir le Sud, encore largement peuplé de populations immunes. Quel aurait été le rôle des institutions de l'élite noire émergente (Black Colleges, etc)  ?

Bref, si Archangel présente quelques bonnes idées et un potentiel de suspense certain, le livre, sans être mauvais, n'est pas une réussite, et on ne peut guère le recommander à qui n'est pas aficionado d'histoire parallèle.

Notes

[1] D'après une rivière au Zaïre qui, certes, était proche des colonies allemandes de l'époque.