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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 20 Mémoires d'une survivante

Keep Watching the Skies! nº 20, juillet 1996

Doris Lessing : Mémoires d'une survivante

(the Memoirs of a survivor)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Éric Vial

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La Science-Fiction hors collection échappe souvent aux amateurs, et le fait qu'il s'agisse de science-fiction échappe quelque peu à ses lecteurs. L'étiquette "fable d'anticipation" en quatrième de couverture rend à peu près compte de la réalité, tout en rassurant sur l'appartenance de l'objet à la littérature “légitime” ; l'absence de “science” répertoriée comme telle (science “dure”), fait le reste.

Ici, on est pourtant bel et bien en pleine SF, avec la description minutieuse de la vie quotidienne dans un quartier plutôt résidentiel, largement abandonné par ses habitants, même si les autorités font semblant de rien. Le pays, l'Angleterre très manifestement, est en pleine déglingue : « Nous savions que tous les services publics avaient cessé à l'est et au sud, et que cette situation se rapprochait de nous. Nous savions que tout le monde avait quitté cette partie du pays, à l'exception de bandes de jeunes qui vivaient de tout ce qu'ils pouvaient trouver : récoltes abandonnées dans les champs, bétail échappé à l'abattoir avant l'effondrement général » avant d'investir les villes… La narratrice s'accroche à son quartier, à son appartement, décrit ses derniers voisins et les bandes de jeunes, recueille une pré-adolescente et son animal familier, un chien à tête de chat. Elle suit l'évolution de la jeune fille, ses rapports avec les bandes qui passent dans la rue, puis qui s'installent, les conflits entre celles-ci, etc.

Il n'y a rien là qui puisse étonner l'amateur. Il est en pays de connaissance. Reste le ton. Le rythme. La lenteur, disons-le. L'ancrage dans une littérature générale qui a depuis longtemps tourné le dos à Cervantes, à De Foe, voire à Balzac, et qui analyse bien plus qu'elle ne raconte. Et qui se croirait sans doute déshonorée si elle faisait le contraire, car elle “tomberait” alors dans la littérature populaire, la littérature d'évasion, l'action… L'ancrage, aussi, dans le psychologique, dans les relations inter-individuelles, et l'escamotage du contexte, des mécanismes, du monde : les quelques données générales citées plus haut suffiront au lecteur, il n'aura pas plus d'explications. C'est d'ailleurs une bonne occasion de mesurer la spécificité de la SF. Ce qui par ailleurs ne devrait pas décourager de lire ce roman. Bien au contraire. Et avec plaisir. Parce que la maîtrise de l'analyse permet de multiplier les variations sans jamais lasser. Parce que l'attention portée aux personnages oblige à les ressentir comme familiers et à s'attacher à eux, ce qui à vrai dire n'est pas courant en SF. Quitte à imaginer un autre livre, racontant ce qui n'est pas dit ici, les racines de la catastrophe par exemple, et explorant le point de vue des bandes, des nomades, et non des derniers sédentaires. On pourrait même imaginer Roland Wagner dans le rôle de l'auteur, et ce ne serait pas tout à fait la même chose.

Autant dire que l'amateur de SF a tout intérêt à faire un petit détour en direction de ce roman. Pour mesurer la différence, mais aussi, tout simplement, pour le plaisir.