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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 10 Échec au destin

Keep Watching the Skies! nº 10, février

Jimmy Guieu, avec la collaboration de Richard Wolfram [Roland C. Wagner] : Échec au destin

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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En courant les jupons sur la planète Cybunkerp, Andy Sherwood, un des quatre associés de la compagnie de Blade & Baker, se fait assassiner au détour d'une ruelle : il n'en faut pas plus pour lancer nos héros dans une aventure qui se révèle… euh, je me trompe de série populaire mais, enfin, vous devinerez assez vite que nos héros sont obligés de remonter dans le temps pour empêcher l'assassinat de leur ami avant qu'il se produise. Ça tombe bien, des scientifiques extraterrestres de leur connaissance étaient justement en train de bosser sur le problème, et, si on n'est pas pressé, puisqu'on retournera dans le temps sur la longueur qu'il faudra, une certaine urgence s'introduit cependant dans leur travail.

Bon prétexte pour des escapades temporelles qui, sous des prétextes qui ne se donnent même pas la peine de dissimuler leur futilité (« Allons faire un saut jusqu'à la Terre […] ce serait une agréable balade », p. 107) amènent nos héros dans une Inde préhistorique peuplée de tribus dravidiennes en pleine crise de yoga mystique.

Comme vous le voyez, si notre ami Wolfram se montre capable d'émuler à plaisir la ringardise des intrigues de son maître, il sait aussi leur apporter des touches d'humour plus ou moins destinées aux happy few, et des éléments de ses propres passions. En plus du yoga, on voit en effet paraître le végétarisme — contrecarré par ce très volontariste « un délicieux parfum de viande rôtie était en effet venu se mêler aux remugles de décomposition omniprésents dans le marais » (p. 135) —, et surtout ces hallucinantes descriptions de nouveau-nés : « Zlanilla aimait bien les enfants. Même les nouveau-nés Twor-Xenk, qui ressemblaient à des cafards de trente centimètres de long avec leurs longues antennes et leurs élytres bruns » (p. 199) — on se demande quel acide Richard avait pu prendre ce jour-là… Je précise tout de suite que sa fille Natacha n'avait à l'époque pas encore vu le jour, et qu'elle ne ressemble pas du tout à un cafard, non plus qu'à ce portait du savant extraterrestre Laximul, un gnekshare : « Le corps de l'être, rosâtre, d'apparence quelque peu flasque, mesurait environ cinq mètres de long […]. Vingt jambes minuscules, qui rappelaient les membres potelés d'un enfant en bas âge, soutenaient cette masse de chair hérissée çà et là d'un crin gris-bleu rappelant les piquants d'un porc-épic » (p. 75).

Bien que sa forme — et l'absence, visiblement, de vêtement en confection pour sa race — interdise à Laximul de pratiquer naturisme et sexualité débridée, c'est quand même un bon copain de nos héros, et il les aidera à… enfin, vous devinez sûrement. Une fois passées les cent pages de remplissage qui ressemble furieusement à de l'aventure exotique de papa, avec la victoire de l'homme blanc sur les horribles prêtres obscurantistes de la mauvaise tribu — celle qui ne pratique pas le bon yoga, s'entend —, on bouclera dans les vingt dernières des pages chichement attribuées par les Presses la nécessaire fin de l'intrigue, sans surprise de mauvais aloi, et avec beaucoup de notes de bas de page, référant en général à d'autres livres de la même série, et évitant comme le mauvais œil le mot "authentique". De tout le roman, il n'apparaît qu'une fois dans cette mise en page [1], sans doute par effet de la crainte du clavitif que son démarcage de l'auteur de la couverture ne dépasse les bornes du pastiche requis pour atteindre le territoire d'un inadmissible, d'une impensable parodie.

Le fan averti, et connaisseur de la vie réelle du Wolfram, lira donc les pages en rigolant largement, et sans trop se forcer la tête. On note quelques autres plaisanteries, comme le nom de la planète qui sert de prétexte à l'intrigue, sur laquelle on produit d'ailleurs la plupart des ordinateurs de la galaxie — et qui se trouve baptisée Cyberpunk page 77, par l'effet d'une inexplicable faute de frappe… —, ou cette invention, qui demanderait à être explorée plus avant, du satin transgénique de Jolnar VII, possédant « la particularité d'induire un champ psychomagnétique relaxant. On l'utilisait notamment pour recouvrir le capiton des cellules destinées aux malades mentaux agités, ainsi que pour les sièges des salles d'attente des dentistes ». Je ne sais ici lequel des deux auteurs a eu l'expérience réelle de laquelle des deux situations.

Le lecteur habituel de Jimmy Guieu trouvera ici un produit qui ne le dérangera pas, qui devrait même lui faire plaisir, et qui ouvre quelques fenêtres timides dans ses perspectives. Ainsi cette démystification des clichés du suspense, qui deviennent inopérants dès qu'il est question de voyage dans le temps ; une dénonciation du machisme de l'un des personnages, qui faisait preuve d'une galanterie ringarde ; et cette défense vigoureuse — voire pesante — de l'économie mixte sur fond d'une galaxie capitaliste et déréglementée, qui pourrait sortir des pages du Monde. Ah, les Guieu sont plus jeunes que jamais…

Notes

[1] Je le jure rigoureusement !