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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 8 éditorial

Keep Watching the Skies! nº 8, juillet 1994

Éditorial

par Sylvie Denis

La semaine dernière, au lieu de travailler d'arrache-pied à ce huitième numéro de KWS, je suis allée au Futuroscope, près de Poitiers. Depuis le temps que mes dernières périgrinations autoroutières me faisaient passer à côté de cette chose au nom alléchant, il devenait de plus en plus agaçant de ne toujours pas savoir ce qui, à part un piège à touristes, se cachait derrière l'espèce de cristal géant qu'on aperçoit depuis l'autoroute.

C'est ainsi que votre rédac-chef préférée, accueillie par une averse monstre et un vent à renverser un dinosaure, paya ses 135 FRF et pénétra, entre une horde scolaire et un car de papis et mamies, dans le Futuroscope, le Parc européen de l'image, comme ils disent sur le prospectus.

C'était bien. Malgré les hordes scolaires, malgré les attentes avant de pénétrer dans les diverses salles de cinéma — car, en fin de compte, le Futuroscope n'est rien d'autre qu'un parc parsemé de ce qu'on fait de plus invraisemblable en matière d'écrans géants, de relief et toutes ces choses —, malgré la cafétéria (plus mauvaise et plus chère que le Mammouth d'à côté, on vous aura prévenus) ; je ne regrettai point d'être entrée — par exemple — dans le cinéma dynamique — expérience à déconseiller si vous n'aimez pas être inutilement secoués dans des sièges en plastique dur —, sous le dôme de l'Omnimax et son écran hémisphérique où j'ai apprécié le cinéma en relief, très efficace malgré les lunettes et les gamins braillards, et enfin dans l'Immax Solido, écran hémisphérique en relief, le plus impressionnant du lot.

Mais — car il y a un mais, sinon je n'aurais pas pris la liberté de vous raconter cette expérience purement attractive —, mais je me suis vraiment demandé, en sortant, ce que nous allions devenir (nous les Hommes, ou du moins l'Humanité occidentale et sa soif a priori inextinguible de distractions toujours plus variées) si l'on ne cessait de perfectionner ce genre d'activités ludiques et sensorielles. Car il est une chose qui ressort de ce genre de parc — car je suppose qu'il en est de même pour les autres, qu'ils soient ou non centrés sur l'image —, c'est qu'ils favorisent plus la sensation brute que l'émotion esthétique raffinée. En effet, avec un écran géant hémisphérique et des lunettes, on obtient beaucoup : la sensation d'être “dans l'image” — et je n'exagère pas : si face au cinéma en relief, pourtant très au point, je n'avais pas, comme les enfants, envie de tendre le bras pour toucher l'image, avec le “Solido”, il me fallait résister à l'envie ! — et donc de se déplacer “au cœur de l'action”, avec peu, finalement, en ce qui concerne le “scénario” et la “mise en scène”. En effet, les techniques en question étant relativement nouvelles, et coûtant probablement assez cher, on n'assiste pas à de vrais films, mais à des documentaires plus ou moins réussis sur la savane africaine, la migration des papillons ou la photosynthèse. Le sujet n'a donc pas grande importance : ce qui compte, ce sont les effets et émotions qu'on peut en tirer. Ainsi, dans le cas du cinéma en relief sur écran hémisphérique, on plonge au cœur d'un grain de raisin et on suit le trajet des molécules de sucre, d'abord dans la plante, puis dans le corps humain. J'avoue n'avoir pas retenu grand-chose de la façon dont le sucre se forme : ce qui importe, c'est d'avoir l'impression d'être environné de molécules, de les voir bouger, de les suivre dans la plante, puis dans le flux sanguin. Mais on ne peut que rêver à ce que pourront obtenir, avec des techniques similaires, les Welles, les Chaplin, les Renoir… ou les Lucas et les Spielberg de demain.

Et de demain, justement, je n'ai pas beaucoup vu la trace, et c'est une des choses qui m'ont un peu déçue dans cette visite. L'exploration du “futur” se limite à un voyage sur Vénus (une reconstitution en images de synthèse faite à partir de photos satellites). Déconseillée si vous avez l'estomac fragile. Mais on reste quand même un peu sur sa faim. Car, si on ne veut pas que l'Homme, animal faible, feignant et friand de sensations fortes, ne finisse pas en larve branchée sur des univers virtuels, ne serait-il pas bon de lui montrer autre chose que des canons vénusiens ou l'intérieur de ses propres veines ? Ne serait-il pas bon de le transporter un peu dans l'espace, histoire de prendre de la hauteur. D'aller sur Mars, envisager ce qu'on pourrait y construire. Ou dans la Lune. Bref, quelque chose qui, maintenant qu'on ne va plus dans la Lune, laisse une trace dans l'esprit de nos enfants et leur donne envie de sortir de chez eux — non pas pour s'enfermer dans des cinémas, aussi géants et jubilatoires fussent-ils, mais pour explorer l'univers…