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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 7 le Sang d'immortalité ~ Anno Dracula

Keep Watching the Skies! nº 7, mars 1994

Barbara Hambly : le Sang d'immortalité

(Immortal blood | Those who hunt the night)

Kim Newman : Anno Dracula

(Anno Dracula)

romans fantastiques ~ chroniqué par Sylvie Denis

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Texte chroniqué alors qu'il était encore inédit en français.

Il faut bien, un jour, avouer l'inavouable : j'aime bien les histoires de vampires. Ou plutôt : j'aime bien leur version moderne : le vampire laïque, buveur de sang, mais malheureux de l'être, c'est-à-dire victime de la Nature qui l'a fait tel qu'il est mais qui lui a laissé la conscience pour en souffrir. J'aime aussi le vampire immortel : la lassitude des choses de ce monde lui donne un sens de l'humour unique, la vie nocturne un goût vestimentaire de parfait dandy.

Je dois dire que rares sont les auteurs qui traitent tous ces aspects de mythe. Chacun a sa façon de voir les choses : tout l'intérêt du vampire new style est que chaque auteur peut se l'approprier.

Peu de choses en commun, donc, entre le britannique et prolifique Kim Newman et l'américaine Barbara Hambly.

Anno Dracula se présente comme la suite du roman de Bram Stoker, ou plutôt, selon l'auteur, comme un embranchement alternatif qui démarre à partir du chapitre 21. Quand Anno Dracula commence, celui-ci est devenu prince Consort en convolant en justes noces avec la reine Victoria, et un assassin monstrueux sévit dans le sinistre quartier de Whitechapel. On ne l'appelle pas encore Jack l'Éventreur…

On aura compris que le moindre des plaisirs du roman n'est pas le sel de l'uchronie, autrement la référence : passent ainsi, Sherlock Holmes (interné dans un camp de concentration pour cause d'opposition au pouvoir en place), l'inspecteur Lestrade, les docteurs Jekyll et Moreau, Oscar Wilde et quelques autres, pour notre plus grand plaisir. Pourtant, malgré une abondance de détails croustillants, c'est d'épaisseur que manque le livre. Le Londres de l'époque et surtout la nouvelle société qui est en train de se développer avec l'apparition de centaines de vampires avides de pouvoir, ne s'impose pas avec la force que mérite une telle idée. Certes, l'horreur de la situation apparaît très vite, mais un peu moins de dialogues entre les divers protagonistes (policiers, agents secrets, vampires anciens et nouveaux, tous en train de rechercher, ou de faire semblant de rechercher Jack l'Éventreur, lequel, on s'en serait douté, ne tue que des prostituées vampires) et un peu plus de description n'auraient pas fait de mal. En tout cas, cela aurait compensé le fait que l'auteur se fiche complètement de justifier les monstrueuses créatures qu'il met en scène, ce qui finit par me gêner. J'ai dit que j'aimais le vampire laïque : celui dont la nature s'explique par un virus, une mutation génétique, une bactérie, etc., peu importe : en tout cas, autre chose que la colère divine.

Mais j'ai tout de même lu l'ouvrage jusqu'à la fin, et ce n'était pas parce qu'étant à l'hôpital, je n'avais rien d'autre à faire. On ne peut reprocher à Kim Newman d'avoir su ficeler une intrigue qui, sans en avoir l'air, amène le lecteur vers la scène finale, totalement évidente et pourtant parfaitement surprenante, juste d'avoir un peu négligé ses personnages et son univers pour ce faire.

Beaucoup plus équilibré est l'ouvrage de Barbara Hambly, paru en 88, et que Presses Pocket vient de faire traduire : une excellente idée s'il en est. Rien à redire, en effet, à cet excellent roman : énigme policière (il s'agit pour James Asher, professeur à Oxford et agent secret de sa Majesté de retrouver qui assassine les vampires de Londres : la différence avec Kim Newman étant qu'on ne se trouve pas dans un univers parallèle et que, jusqu'au bout, Asher restera le seul à savoir que des vampires existent réellement), suspense réglé au poil, décors superbement ciselés par une plume toute en finesse, personnage dont les relations sont crédibles et prenantes, et j'allais oublier, énigme “scientifique”, puisqu'il s'agit aussi de comprendre la vraie nature et origine des créatures en question. Aucune raison de se priver, donc, du plaisir de ce livre dont les vampires sont tels que je les conçois : des dandys immortels qui ont plus à voir avec les Danseurs de la fin des temps de Michael Moorcock qu'avec les brutes répugnantes de Newman. Ce qui me conduira à une dernière remarque : si je n'aime pas trop la vision newmanienne, c'est parce qu'il n'exploite pas assez à mon goût, l'immortalité de ses héros, pas parce qu'il fait un usage immodéré des scènes d'horreur : les amateurs de supplices gratuits devront chercher ailleurs leur pitance. Car s'il y a un point commun entre les personnages des deux romans, c'est leur volonté de combattre le règne de la cruauté et de la mort — tout puissant dans l'un, souterrain dans l'autre. Ils s'en approchent dans Anno Dracula et renoncent dans Immortal blood. Aucun des deux auteurs cependant, ne va bien loin dans l'exploration des noirceurs de l'âme humaine livrée aux nécessités de la survie : pour cela, et pour une vraie exploitation de l'idée d'une civilisation de vampires, avec tout ce que cela implique, il faut lire le très noir, très troublant et très réussi the Empire of fear, de l'anglais Brian Stableford. Si toutefois on vous le traduit…