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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 3 Prayers to broken stones

Keep Watching the Skies! nº 3, janvier 1993

Dan Simmons : Prayers to broken stones

recueil de Science-Fiction & de Fantastique partiellement inédit en français ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

 Détail bibliographique du sous-ensemble le Styx coule à l'envers dans la base de données exliibris.

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Publié en 1990 par le petit éditeur Dark Harvest, voici enfin en édition de poche disponible pour tout le monde — maintenant que tout le monde sait que Simmons est un auteur à succès — un recueil des nouvelles d'un homme surtout connu comme romancier.

On trouve un peu de tout dans ce recueil : deux longs récits qui sont à l'origine de deux romans ("Remembering Siri" a été incorporé dans Hypérion, et "Carrion comfort" est devenu un roman du même titre), un traitement en épisode de série TV d'une nouvelle par ailleurs incluse dans le livre ("the Offering" et "Metastasis", respectivement) ; se demande si on n'est pas allé racler un peu loin pour obtenir un volume suffisamment joufflu.

Au niveau des sources, on trouvera ici des textes parus dans Omni, dans l'anthologie Night visions, dans Isaac Asimov's S.-F. magazine, et d'autres, et même un inédit. Pour les époques, de tout depuis les débuts de Simmons (1982) jusqu'à 1990. Et en ce qui concerne les genres, de la littérature générale ("the Death of the centaur" et "Two minutes forty-five seconds", ce dernier, comme le roman les Larmes d'Icare, ayant pour sujet le programme spatial), de la S.-F., de l'horreur, et même du Fantastique humoristique. Bref, nous avons surtout une illustration de la diversité des talents de Simmons : nulle raison de se plaindre de l'éclectisme du volume !

À mon avis, ce n'est pas dans la S.-F. que l'on trouvera les récits marquants de Simmons. "E-ticket to 'Namland" est une nouvelle satirique réussie sur un mode mineur : le Việt Nam d'un futur proche, à nouveau capitaliste, a créé un parc d'attraction qui reproduit la guerre. Cela se gâte quand il est visité par d'authentiques anciens combattants. "Remembering Siri", malgré la complexité de la narration, est trop linéaire dans ses sentiments pour mon goût.

La nouvelle qui ouvre le bal, "the River Styx runs upstream", est plus révélatrice des préoccupations de l'auteur : sous des dehors science-fictionnels (une société où les morts sont ranimés par des techniques appropriées), c'est une histoire de fantôme, la morte ranimée devenant une morte-vivante, une sinistre parodie d'humanité. On est plutôt là dans le domaine de l'horror, de la Dark Fantasy si on veut, et Simmons signe quelques belles pièces dans ce style avec "Carrion comfort" (des immortels vivent de la satisfaction que leur procure la mort des humains, qu'ils peuvent contrôler), "Iverson's pits" (du Fantastique historique, un peu à la manière de Poe, qui tire sa puissance de la fascination horrifiée pour la bataille de Gettysburg, une des grandes boucheries de la Guerre de Sécession), "Eyes I dare not meet in dreams" (ça pourrait être du Sturgeon : un télépathe rencontre le mutant le plus puissant qu'il ait jamais vu dans une école pour débiles mentaux).

Simmons a beaucoup lu, sait s'amuser avec références (comme Dante dans "Vanni Fucci is alive and well and living in Hell", impitoyable charge contre les télévangélistes) mais il me donne parfois l'impression d'être un touche-à-tout prêt à tout laisser tomber avec une pirouette, comme son personnage d'instituteur qui, après s'être attaché à une classe qu'il n'avait pas choisie, et l'avoir captivée toute l'année par un récit de S.-F. à la E.R. Burroughs (qui retranspose quelques fragments de l'univers d'Hypérion), la laisse tomber à la fin pour s'assurer un meilleur sort personnel [1]. Mais l'acrobate est brillant, on ne lasse pas de le regarder pour autant. S'il fallait lui attribuer un port d'attache, ce serait quand même celui de l'angoisse ; la mort plane toujours sur ses récits, et vue sous l'angle émotionnel, personnel, et quelque peu désespéré qui est celui du Fantastique — la S.-F. ajouterait une touche de combativité, la Fantasy la négation du réel, le mainstream l'amertume… très schématiquement !

Notes

[1] Note de la rédactrice en chef : dans une interview publiée dans Interzone 59, Dan Simmons explique qu'il a réellement travaillé dans une école. C'est ainsi qu'il a eu la possibilité de raconter une histoire à une classe « une demi-heure par jour, pendant toute l'année scolaire. Ça fait cent quatre-vingt-deux jours. […] Mes deux gros romans de Science-Fiction, Hypérion et la Chute d'Hyperion, sont en fait des fragments de l'histoire de Science-Fiction que j'ai racontée à ces enfants. ». Et il ajoute : « Oui, c'est vraiment ainsi qu'Hypérion a commencé. Certains des éléments qui ont par la suite constitué le roman étaient déjà là, bien qu'ils ne fussent qu'une toute petite partie d'une immense fresque. Et ce qui me plaît, c'est qu'à l'exception de ce que j'ai récupéré pour Hypérion, tout à disparu. Quand les enfants ont quitté l'école, l'histoire a été terminée. En fait, j'ai essayé de la mettre par écrit. Je suis arrivé à faire trois cents pages, à la main, puis j'ai réalisé que ça allait faire au moins cinq mille pages, et j'ai laissé tomber. ».

Étonnant, non ?