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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 1 le Rayon Zen

Keep Watching the Skies! nº 1, mai 1992

Barrington J. Bayley : le Rayon Zen

(the Zen gun)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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L'Empire Galactique n'est plus ce qu'il était, et la mesure de sa vétusté est donnée par le rôle essentiel, mais humiliant, dévolu à ce qui reste de sa flotte de guerre, seul ciment de sa puissance : la collecte de l'impôt dans des secteurs stellaires aussi rétifs qu'éloignés. La population humaine des régions centrales de l'Empire étant en chute libre, de même que son goût pour le service de l'État, l'équipage de la flotte se compose d'officiers trop jeunes et d'animaux à l'intelligence artificiellement augmentée, auxquels il convient d'ajouter une population de touristes oisifs, embarqués par goût du voyage et des distractions du bord. Ainsi une bataille spatiale contre une flotte rebelle est menée alors qu'une orgie bat son plein dans l'entrepont. Je vous laisse imaginer un abordage via transmetteur de matière.

Pendant ce temps, sur la planète Terre, berceau oublié de l'humanité — n'avez-vous pas l'impression d'avoir déjà lu ça quelque part ? —, un semi-débile découvre qu'un jouet en bois est en réalité une arme qui lui confère un pouvoir nouveau sur ses semblables. Mais il n'en soupçonne pas les véritables et fantastiques potentialités…

Bref, si le cadre de ce space opera pur-sang doit énormément à la série Fondation d'Asimov, les événements s'y entrecroisent à toute vitesse, et les trouvailles pseudo-scientifiques y sont nombreuses et parfois réjouissantes. Bayley va jusqu'à consacrer un appendice entier à sa pseudo-théorie cosmogonique selon laquelle n'existent dans l'Univers que des forces de répulsion, l'attraction gravitationnelle n'étant que conséquence d'occultation de ces répulsions. J'aurais aimé qu'il explique pourquoi la force attractive d'une planète ne dépend que de sa masse, et non de l'angle solide qu'elle occupe dans le ciel de l'observateur soumis à l'attraction ; mais bon, on n'a pas besoin de croire à une théorie pour y prendre plaisir, et je serais prêt à croire que notre ami Gérard Klein, amateur notoire de trames et moirés, a été conquis principalement par cet aspect du livre.

Car le roman pèche par d'autres aspects. Beaucoup d'eau ayant coulé sous les galaxies depuis l'époque d'Asimov, on se sent en droit d'exiger de la S.-F. des exploits d'extrapolations politique et sociale qui dépassent le recopiage inspiré de the History of the Decline and fall of the Roman Empire. On portera au crédit de l'auteur sa conscience des réalités économiques (l'impôt comme pilier et critère de l'autorité impériale), et une idée à la fois originale et juste : le tribut n'est pas prélevé sous forme de marchandises, au transport onéreux, mais sous celle ô combien plus précieuse du capital intellectuel et créatif des hommes et femmes les plus doués des provinces extérieures. Sous des formes plus subtiles, un tel tribut est prélevé depuis longtemps — et particulièrement depuis le début de la iiie République — par la France sur l'Occcitanie, et la rédactrice en chef de notre revue en est un vivant témoin. Hélas, le reste de l'invention politique et sociale ne suit pas, et rebelles et coups d'état de Bayley ne sont que caricatures de la réalité d'un Empire en dissolution, que nous pouvons imaginer d'autant mieux aujourd'hui que nous en avons sous les yeux un exemple tellement plus complexe — dont, soyons justes, Bayley ne disposait pas en 1983. Le rôle des animaux améliorés est une touche pittoresque par rapport à Asimov, mais le caractère des cochons me semble entièrement repris sur la célèbre Ferme aux animaux de George Orwell.

Le Rayon Zen trouve sa pierre d'achoppement finale dans la psychologie des personnages — pour le moins schématique — et sa conception de la philosophie (en gros, la nature humaine est chose unique et sacrée ; les jeunes ne comprennent rien ; il faut suivre la voie de la sagesse ; etc. Et, pourquoi pas : « Confucius a dit » !?). L'intrigue de ce bref roman se réduit donc à des péripéties, ce qui ne l'empêche pas d'être très dense en trouvailles, et donc d'une lecture plus qu'agréable pour l'amateur de vraie S.-F.