KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

[Collectif] : les Finalistes du prix Rosny aîné 2019

anthologie de Science-Fiction, 2019

chronique par Pascal J. Thomas, 2020

par ailleurs :

Au sommaire de ce recueil, les finalistes du prix Rosny aîné 2019, catégorie nouvelles :

…suivis de :

La production 2018 nous offre des finalistes du Rosny aîné qui témoignent d'un certain régime de croisière de la Science-Fiction francophone ― Science-Fiction, ai-je bien dit : ni Fantastique ni Fantasy ne sont au programme cette année. Une majorité d'auteurs confirmés, issus de diverses générations de la communauté, publiés dans les endroits dont nous avons l'habitude : anthologies chez Rivière blanche, pérenniale anthologie des Utopiales, revues amatrices ou plus professionnelles.

Aux sept textes de la sélection du Rosny aîné vient s'ajouter le prix Aristophane 2019, une pièce de théâtre en un acte, donc, d'Antoine Palazi. "L'Effroyable incident d'Amiens" est une aimable variation lovecraftienne sur fond de Première Guerre mondiale.

Au rayon des auteurs confirmés, je rangerais déjà Léo Henry. Son "Écouter plus fort" est de ces récits qui, comme ceux de R.A. Lafferty, me laissent dans l'indécision : est-ce que je n'y comprends pas grand-chose parce que je suis trop bête ou trop pressé, ou l'auteur aurait-il un tantinet surchargé la barque de l'exotisme et de l'évocation magique ? Quoi qu'il en soit, je n'ai pas réussi à rentrer dans ces échanges entre animaux parlants.

Autant Laurent Genefort que Catherine Dufour jouent avec des évolutions technologiques qui touchent aux préoccupations de l'époque. La deuxième le fait très directement, dans "Sans retour et sans nous", un texte rédigé pour une anthologie de Thierry Bosch & Jean-Claude Dunyach présentée par le LAAS (le plus gros laboratoire propre du CNRS, orienté vers la robotique et une foule de sujets connexes, situé à Toulouse). Les robots sous la plume de Dufour, tels des chats mécaniques, se révèlent une efficace source de perturbation. Le tout est servi avec l'humour acerbe que l'on connaît à l'autrice, sur fond de relations familiales compliquées, et ça marche, hum, comme sur des roulettes. Genefort pétrit la biotech, aidée par une dose d'irruption extraterrestre : les Entasi ont le bon goût d'avoir une morphologie bourgeonnante qui permet la confection de corps de rechange pour humains usagés. Ce petit miracle n'a toutefois pas l'heur de plaire aux religieux réactionnaires de tous bords, et "Conatus" ― à l'instar du récit de Dufour ― met en scène deux frères qui ne sont pas du même avis sur la question. Comme toujours chez Genefort, nous dégustons du très bien agencé, mais j'aurais une petite réserve liée au caractère précipité de la fin du texte. Je ne peux m'empêcher de me demander si un roman ne se dissimulait pas derrière cette nouvelle. Elle a dû être écrite pour coller au thème du corps, qui était celui des dernières Utopiales, et il se pourrait que la compétence l'y emporte sur l'élan créatif. Mais ne boudons pas notre plaisir.

Auteur beaucoup moins connu, Stéphane Croenne brode aussi sur le corps avec "Ne signe pas ça, Chloé !". Mais retourne la situation : la technologie, et le commerce afférent, ne sont plus au service du corps de l'individu ; c'est le corps de chacun qui devient objet de commerce, fût-ce aux dépens de la vie de son propriétaire et habitant. De quoi donner froid dans le dos, mais l'idée n'est pas si neuve,(1) et la chute en forme de cruelle coïncidence se devine assez vite. Les votants du prix Rosny aîné n'ont pas eu les mêmes préventions que moi, puisque ce texte a été couronné cette année.

Christophe Olry souffre lui aussi d'un déficit de réputation, et a publié "le Luck ou la vie" dans AOC, anthologie du club Présences d'esprits que je ne peux m'empêcher de considérer comme un banc d'essai — ce qui est sans doute injuste au bout de cinquante numéros… Sa société future est fondée sur une sorte de marché permanent du luck, qui est une chance bien réelle et matérialisée. On aime s'identifier au protagoniste d'une histoire, et celui d'Olry est, à dessein, trop haïssable pour que ce soit possible ici, pour moi en tout cas. N'étant pas non plus très convaincu par le contexte mis en place par l'auteur, je ne suis guère rentré dans le texte, mais il a le mérite de tenter un monde original.

Restent deux textes, par un auteur nouveau mais dont on a plus d'une fois parlé dans KWS, Sylvain Lamur,(2) et par un autre largement confirmé, Christian Léourier. Le premier, "les Chants de l'engoulevent", nous emmène dans une tournée originale des champs de bataille de la Première Guerre mondiale ― il n'y eut pas que l'Aisne ou la Meuse ― avec un réalisme effrayant. Partout pointent leur bec ces mystérieux engoulevents. Tandis que le deuxième, "Vue en perspective du Jardin des Plantes", évoque un jardin botanique (et zoologique) parisien au travers de ses différentes époques, traversées par l'ombre de voyageurs temporels. Tous deux déploient une écriture riche et évocatrice. Et tous deux, à mon regret, nous guident jusqu'au seuil d'un saut dans l'inconnu, sans le franchir. Rançon de la brièveté, ou timidité de l'imagination ? Je sais en tout cas que ces deux textes ont été mes préférés du recueil, et que je me replongerai à l'occasion dans l'œuvre de l'un et l'autre auteur.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 86, mars 2020

Lire aussi dans KWS la chronique des crus 2013, 2015, 2016, 2017 & 2018 par Pascal J. Thomas


  1. Pensez à Patrice Duvic et à son roman Naissez, nous ferons le reste.
  2. Pour le Sens de la vie, De monstrorum natura & Quaillou.

Commentaires

Ajouter un commentaire

Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.