[Collectif] : les Finalistes du prix Rosny aîné 2017
anthologie de Science-Fiction, 2017
- par ailleurs :
Ne cherchez pas ce livre, cherchez ses auteurs : comme chaque année,(1) et cette fois à l'occasion de la 44e Convention Nationale de SF, tenue à Grenoble en juillet dernier, le comité du prix Rosny aîné met à la disposition des participants (et potentiels votants) une anthologie des nouvelles en lice pour la distinction. Paresseusement, je m'en sers comme d'une lucarne par laquelle apercevoir un coin du ciel de plus en plus brillant de l'écriture spéculative francophone du moment.
Je vous encourage à retrouver les textes dont je vais parler, enfin presque tous, dans leurs supports d'origine, à savoir :
- Pierre Bordage : "Hier, je vous donnerai de mes nouvelles" dans le recueil homonyme à l'Atalante ;
- Christian Chavassieux : "Nulle part, tout le temps" & Estelle Faye : "les Anges tièdes" dans l'anthologie un Tremplin pour l'utopie aux Moutons électriques ;
- Léo Henry : "Pour toujours l'humanité" & Laurent Kloetzer : "la Confirmation" dans le nº 83 de la revue Bifrost ;
- Brice Tarvel : "l'Échelle de Dieu" dans le nº 86 de la revue Galaxies.
Dans l'ensemble, on dira que la SF francophone confirme ici son côté mystique, et quelque peu rêveur et passéiste. Avec de notables variations. Je passerai rapidement sur "l'Échelle de Dieu", le texte de Tarvel, que je tiens pour une oubliable fantaisie : un arbre géant surgit dans la Lozère et se révèle le produit d'un abominable complot de vilains extraterrestres. Oui, je caricature, mais en fin de compte…
Pierre Bordage a un métier qui le rendra toujours lisible, et avec plaisir. C'est après avoir lu "Hier, je vous donnerai de mes nouvelles" qu'on se dit que cette exploration du passé par un voyageur temporel, marqué par une répulsion constante envers la violence humaine, manque beaucoup d'originalité.
On pourrait se dire que Kloetzer manque lui aussi d'originalité dans "la Confirmation", son récit d'un continent européen submergé par des armées de ce qui ressemble à des zombies (d'accord, les “baveux” sont juste des humains victimes d'un virus qui les transforme en guerriers fanatisés) tandis que la civilisation s'accroche sur les îles de la Méditerranée. Mais sa novella (50 pages du présent volume) pose un univers qui, outre faire froid dans le dos, a le grain du réel. À cause des noms de lieux, peut-être (l'action est située autour de Saint-Guilhem-le-Désert, village très touristique au nord-ouest de Montpellier), mais surtout de l'ambiance de désespoir et de chamaillerie qui règne parmi ses protagonistes adolescents, dévoués à la défense de leur avant-poste humain au milieu des hordes de baveux. Les péripéties et les retournements sont suffisamment nombreux pour donner le sentiment d'un roman en miniature, même si on regrette de ne pas en apprendre plus sur cet univers noir. Au total, ce texte m'aura laissé la plus forte impression de l'anthologie.
Léo Henry s'inscrit dans un registre exactement inverse avec "Pour toujours l'humanité", tout en subtilité : un vieux touriste américain en villégiature au fin fond du Massif central, quoi d'extraordinaire ? Sauf qu'il s'agit de Michael Collins, seul survivant de la célèbre mission Apollo… 9 et non 11. On découvre peu à peu cette triste uchronie, saisissante par son écriture — on jurerait les dialogues de Collins traduits de l'anglais —, mais qui ne dit rien des conséquences qu'a pu avoir pour le monde ce point de divergence majeur, au moins à nos yeux de fans de SF et d'espace.
La similitude thématique entre Faye et Chavassieux s'explique aisément par leur présence dans une même anthologie dédiée. C'est la première des deux qui a emporté les lauriers à Grenoble pour "les Anges tièdes", de façon méritée même si pas incontestable : dans son futur, tout un chacun, ou presque, a choisi de ne plus vivre que dans un monde virtuel nommé Arcadie, qui s'est affadi, passant d'un jeu d'aventure à une mièvre utopie baba cool (le genre d'univers où le summum de l'excitation est de participer au concours du plus gros navet…). Mais la protagoniste a appris à s'échapper dans le réel, à muscler son corps, pour se lancer dans une aventure qui ne soit pas virtuelle : récupérer, sur une île de la baie de San Francisco qu'on n'atteint qu'à la nage, la copie de sauvegarde d'un monde virtuel encore, mais plus vitaminé. Un paradoxe bien en phase avec l'évolution de notre société, et de quoi expliquer le pouvoir attractif de cette nouvelle. Écrite joliment avec ça, peut-être trop à mon goût, avec pas mal de méandres et de détails un peu ad hoc qui nuisent à la crédibilité (comme ce providentiel Luther, ou le fait qu'il faille précisément se confronter à l'épreuve physique de la nage pour sauver le monde). À lire, en tout cas.
Chavassieux s'aventure dans "Nulle part, tout le temps" sur le territoire de Georges Panchard, ou de Michel Jeury, ou d'Alain Resnais/Jacques Sternberg (Je t'aime, je t'aime) si on veut : la submersion dans un univers onirique par la répétition avec variations. Sans autre variation ici que l'allongement progressif de la séquence racontée — mis à part ces mystérieux escarpins à la quatrième itération. Bien entendu, il y a une explication : l'utopie durable a été réalisée, par l'enregistrement d'une journée idéale dans une communauté égalitaire, et largement illusoire. La prise doit être parfaite, et un technicien plonge dans l'enregistrement pour apporter l'amour à une jolie fille mélancolique. Sympathique, mais rétrospectivement mince.
Au total, il serait malvenu de se plaindre. Comme l'an dernier, tout dans cette anthologie est lisible, et presque tout est de bonne facture. Moins peut-être d'éblouissements qu'en 2016, sans qu'on puisse nourrir d'inquiétude pour la santé de l'imaginaire francophone ; au contraire, le renouvellement des noms du sommaire est source d'admirative satisfaction.
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