KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

[Collectif] : les Finalistes du prix Rosny aîné 2016

anthologie de Science-Fiction et autres, 2016

chronique par Pascal J. Thomas, 2017

par ailleurs :

Une fois de plus, les organisateurs de la convention nationale ont placé la barre très haut avec cet élégant et éphémère recueil des textes courts finalistes du prix Rosny aîné ; une fois de plus, aidé par la canicule et l'insomnie, j'en ai profité pour rattraper un peu de mon retard en lecture de nouvelles de SF (et Fantastique, et Fantasy) francophones. Cette année, l'échantillon est enrichi par le hasard pervers de la dispersion des votes. Chic !

Voici donc les heureux sélectionnés :

Je vous incite à vous les procurer — leurs éditeurs sont aisément trouvables sur le web, et témoignent d'un foisonnement. Qui dépasse de loin la SF (que j'aime bien), comme en témoigne la liste ci-dessus : si Couzigou, Denis, Genefort et Lainé relèvent clairement du genre, Fazi pratique un impeccable fantastique, Douay une sorte d'Histoire secrète elle aussi fantastique, et Boulanger et Del Socorro me semblent devoir être classés dans la Fantasy, à cadre uchronique pour le second. Bref, on ne peut pas dire que les votes du fandom cantonnent le prix Rosny aîné au cadre strict de la SF — même si cette année les deux statuettes sont allées à Laurent Genefort, décidément multirécidiviste. On relèvera à peine la parité autoriale, un détail désormais non-remarquable, j'espère (du chemin a été fait).

Mieux encore : tout dans ce recueil se lit avec plaisir. Quel contraste avec l'inégale sélection de 2013 !

Le chroniqueur se sent obligé de se faire témoin de l'air du temps (quitte à l'inventer), et tout au moins d'appuyer l'énumération des nouvelles d'une anthologie sur la béquille d'une thématique commune qui se dégagerait d'une majorité de textes. Cette béquille n'eût-elle que les modestes dimensions de l'allumette qu'il convient de placer entre les paupières du lecteur pour éviter son définitif assoupissement. Cette année, la lecture des textes m'a renvoyé à la question obsédante du Mal qui est en nous. Ce serait trop facile si le Mal ne se nichait que chez les autres — et c'est un peu le cas dans "le Vert est éternel" de Del Socorro, où sorciers et mécréants de toutes sortes se battent sous la bannière d'Henri de Navarre contre un adversaire catholique fanatique, que nous ne voyons jamais de l'intérieur. Mais le texte est bien documenté et bien mené.

Chez Boulanger, ça se complique. J'ai mis "Tous les Enfants de la Mère" dans la Fantasy à cause des loups-garous (en société organisée). Il faudrait plutôt parler de Science Fantasy, à la façon d'Anne McCaffrey, où les êtres fantastiques de nos légendes sont le produit de manipulations d'inspiration biotechnologique — ou du moins nous donne-t-on à l'entendre. L'ambiance est médiévale, les émotions sont intenses, on est plongé dans le monde de l'auteur. Quant au Mal, s'il se cache, il n'est pas près d'avoir délaissé l'humanité.

C'est en nous que le Mal interpelle. J'ai déjà dit tout le bien que je pensais de "Nature humaine" de Couzigou,(1) qui nous introduit dans l'intimité d'un protagoniste que nous ne verrons que graduellement comme monstrueux. Genefort adopte la même stratégie dans "Ethfrag". À ceci près que le lecteur se rend très vite compte de quoi il retourne. Nous sommes sur Omale, et un biologiste humain, le professeur Borigonkar, se rend dans un camp où son travail sera d'étudier la physiologie des Hodgqins, une des espèces qui se partagent le monde géant. La nouvelle se compose d'extraits de son journal. Dès la citation d'ouverture — datée de quelques siècles plus tard —, dès l'apparition de l'expression “matériel Hodgqin”, nous avons compris que Borigonkar est une sorte de Mengele. Le malaise, et le génie du texte, procède de l'inébranlable bonne conscience de Borigonkar, malgré l'accumulation des révélations auxquelles il est confronté. En ce sens, ce long texte a largement mérité son Rosny, et son Grand Prix de l'Imaginaire, même si je regrette qu'il évoque aussi clairement son modèle historique.

Délivrons-nous du Mal. Douay s'aventure "Avec Herman Melville dans la vallée des Taïpi" sur un territoire crypto-historique qui peut rappeler le steampunk (avec l'évocation d'un auteur du xixe siècle : mais Herman Melville est bien loin des auteurs populaires qui sont les sources habituelles de nos amis victorianophiles), et un récit de voyage dans le Pacifique Sud qui débouche sur un fantastique lovecraftien, c'est-à-dire qui dépouille de toute transcendance ce qui aurait, de prime abord, pu sembler mysticisme magique. C'est surprenant de la part de Douay, magnifiquement exécuté, mais manque un peu de retournements à mon goût. Denis nous emmène dans ce qui est le plus coloré et le plus étonnant des voyages de ce recueil — qui, finalement, en manque. Mais aussi le plus court, et du coup le plus frustrant. Il paraît que "Chute libre" n'est que le début d'un cycle : on a ici en effet la matière, ou au moins le décor, pour bien d'autres récits. J'ai aussi déjà parlé du "Karma du chat" de Lainé,(2) qui est aussi techniquement précis que drôle. La drôlerie allant souvent de pair avec une certaine méchanceté…

Enfin Fazi, qui joue dans "la Clé de Manderley" impeccablement le jeu du fantastique : nostalgie, incertitude de la mémoire, univers à tiroir, éloge discret de la différence… Tout cela avec une énergique dose de références cinématographiques. De la belle ouvrage !

Cet ouvrage étant hors-commerce, je ne peux vous recommander de l'acheter (sauf, qui sait, dans une ces ventes aux enchères décérébrées qui font des conventions nationales de SF un lieu définitivement détaché de la masse des festivals de l'imaginaire), mais que ce soit une incitation à goûter aux anthologies que nous offrent la multitude d'éditeurs indépendants de notre domaine.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 79, janvier 2017

Lire aussi dans KWS la chronique des crus 2013, 2015, 2017, 2018 & 2019 par Pascal J. Thomas


  1. Dans une chronique de l'anthologie 42 : l'appel de la SF.
  2. Dans la chronique du Galaxies n° 38.

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