KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Jeanne-A Debats : 42 : l'appel de la SF

anthologie de Science-Fiction, 2015

chronique par Pascal J. Thomas, 2016

par ailleurs :

Mine de rien, ou parce que je ne fais pas attention, cela fait dix ans que Parchemins et Traverses creuse son sillon et gratte ses grimoires, avec en moyenne une anthologie par an, largement ouverte aux nouveaux auteurs. Celle-ci a sans doute bénéficié de plus de réclame que d'habitude, et peut se vanter d'avoir au sommaire une brochette d'auteurs respectablement connus, et quelques fans notoires.

On pourrait s'attendre à un recueil sympathique, mais anecdotique. Se placer sous la bannière de Douglas Adams, avec un “42” déjà souvent hissé, n'était sans doute pas la meilleure carte de visite du monde. Mais, à l'instar de Gérard Klein, préfacier souvent impitoyable de rigueur et ici séduit, j'ai été agréablement surpris.

On trouvera pourtant dans ces pages un solide quota de pirouettes faniques, bâties sur une chute ou sur leur potentiel parodique. Des textes souvent courts, trop attachés à transformer en motif le titre du recueil : "les Trente-douzièmes Réactionnariales" de Bertrand Bonnet, ou "le Guide du routard de la complexité" de Matthieu Walraet. Je mettrai dans le même sac ces textes qui portent en bandoulière la playlist écoutée par l'auteur pendant la rédaction, avec toutefois une indulgence pour "Strange days" de Michel Féret, non tant pour sa dévotion pour le gros rock 70's pour lequel on me connaît une coupable faiblesse (Deep Purple, etc.), mais plutôt pour la façon dont il intègre l'ambiance musicale à son intrigue sans jamais se départir d'un certain humour. C'est l'humour, mais aussi une imagination perverse et inattendue, qui porte "Mélomania" de Sylvie Lainé. On est, pour filer la métaphore musicale, sur un mode mineur, mais c'est le plus réussi des textes courts du recueil.

Non que l'humour soit un imparable bouclier. Olivier Cotte, dans "Prise en passant", mène fort bien un texte grinçant (on ne voudra pas de la Terre dans la confédération galactique parce que les Humains ne sont pas assez… méchants !), mais le gâche un peu par une chute guère convaincante. On remarquera au passage qu'on lui doit aussi l'aspect graphique du livre, et chapeau bas pour ce travail. Un autre Olivier, Gechter, tire un effrayant portrait d'une humanité droguée aux produits connectés, mais "la Famine" me laisse sur ma faim (pardon), par manque de rebondissements.

Je ne pourrai pas dresser la liste de tous les textes du recueil, ni commenter leurs présentations, souvent déguisées en microfictions. Anthony Boulanger caricature dans "le Dernier Ptolémée" la soif de pouvoir dans un futur lointain, Sylvain Chambon construit avec "Cul de sac" une intrigue policière dont le ressort est la biotechnologie : tous deux m'ont emporté dans leur monde pour un moment de lecture, je ne peux en dire plus, et c'est déjà beaucoup.

Deux textes me semblent être des échecs intéressants. Plus ambitieux, ils créent chacun un monde futur complexe et complet, vaguement dystopique aussi, qui doit faire face à sa fin, ou à une grave crise. "Kims que nous sommes" d'Anne Larue présente un monde à la Aldous Huxley, peuplé d'androgynes, qui rejette l'idée de mort — mais parque ses vieux. On démarre sur une intrigue de révolte adolescente individuelle, et on conclut par la fin d'un monde ; mais le scénario manque de chair, la société mise en scène semble trop vaste et trop riche pour se réduire aussi vite à une poignée de personnages — puis au néant. "Premier des citoyens" de Simon Bréan est un texte long et complexe, que j'ai pu ne pas comprendre correctement. L'humanité y est autant virtuelle que charnelle, mais n'est pas pour autant devenue rationnelle. Et c'est un de ses membres les plus distingués qui semble avoir choisi de disparaître après avoir tant fait pour elle. Il faut mener l'enquête… L'univers créé par Bréan rappelle par certains aspects celui de Roland C. Wagner (les Pulsions tenant le rôle des Archétypes Incarnés), et j'en retrouve au moins un tic de style (les appositions en grappe). Il serait audacieux de mettre ceci sur le compte de la fréquentation assidue du Fleuve noir "Anticipation" qui est un point commun de Simon et Roland — avec des objectifs bien différents. Toujours est-il que je ne suis pas rentré dans le récit, tout en me disant que je perdais quelque chose, et que Bréan, remarquable critique et analyste de la SF, montre son potentiel d'auteur, qu'il va sûrement réaliser avec le temps.

Restent pour moi un trio de textes réussis. "Clandos" de Timothée Rey est un space opera sous forme de pièce de théâtre, sur un sujet d'actualité (l'immigration clandestine). Cela pourrait suffire à rendre le texte intéressant, mais c'est aussi un huis clos cruel aussi prenant que surprenant. "Nature humaine" de Magali Couzigou a pour thème le sort des humains à l'ancienne dans un monde où tout le monde est génétiquement rectifié — rien de bien nouveau là-dedans, me direz-vous. Sa force est toute de sournoiserie : le lecteur accorde sa confiance à une protagoniste dont tout montre, progressivement, que nous ne pouvons que la condamner moralement. Un tel retournement n'est pas à la portée de tous, et j'aimerais voir ce que Couzigou nous donnera à l'avenir. Enfin Sylvie Denis, auteur confirmé s'il en est, prend dans "Sans but ni fin" la conquête spatiale par ses coulisses industrielles et commerciales, et imagine l'amitié au long cours entre un héritier de patron d'industrie et l'enfant caché d'employés de bas étage. Un enfant clandestin comme il en existe aujourd'hui en Chine à cause des lois de contrôle des naissances — c'est l'aspect actualité sociale du texte, mais cela reste de la SF, et autant la perspective du départ vers l'espace que celle du contact avec les extraterrestres sont transformées par le point de vue du jeune Chen. Sylvie Denis n'est jamais meilleure que quand elle parle de l'enfance. Et ce texte est de la SF à son meilleur.

Nombreuses sont les anthologies que j'ai lues où l'on ne trouve pas autant de récits mémorables ou réjouissants (voire les deux) que dans celle-ci. On pourra donc se laisser tenter !

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 77, février 2016

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