Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

Antoine Buéno : le Soupir de l'immortel

roman de Science-Fiction, 2009

Philippe Curval, billet du 24 octobre 2013

par ailleurs :
Un soupir

D'emblée, on peut affirmer qu'Antoine Buéno n'est pas un écrivain innocent… Chroniqueur télé et radio, il enseigne la littérature (utopique) à Sciences-Po. Chargé de mission au Sénat, il fut proche de François Bayrou dont il écrivit les textes politiques durant la campagne présidentielle de 2007.

Il se proclame écrivain prospectiviste, ce qui lui a permis de recevoir des critiques louangeuses pour son roman, le Soupir de l'immortel, édité par Héloïse d'Ormesson, dans le Point, et par Irène Frain dans Match qui écrit : « Il pourrait faire passer Houellebecq pour un auteur Harlequin. ». Voilà que son roman reparaît chez Pocket, marqué au fer “Science-Fiction” et sous-titré : quand le Meilleur des mondes rencontre Alice au pays des merveilles.

C'est l'occasion d'en parler.

Même si je n'ai pas trouvé trace d'Alice au pays des merveilles dans cet ouvrage de près de sept cents pages, disons tout de suite qu'Antoine Buéno rend hommage au Meilleur des mondes d'Aldous Huxley en empruntant son cadre général. Nous sommes en 570 après Ford (2478 après Christ). On soupçonne vaguement à la suite de quels événements la civilisation a changé de calendrier. Les êtres humains vivent au sein d'un État mondial dirigé par un Directoire planétaire.

Dans cette société, la reproduction sexuée telle qu'on la conçoit a presque totalement disparu ; les êtres humains sont en général créés en couveuse. : « L'homme était vivipare. Il est devenu vitripare ». Les emprunts d'Antoine Buéno ne se limitent pas à Huxley, sa culture SF est si vaste qu'elle embrasse aussi bien Dick que Bilal, ce dont il ne se cache pas. Ces préliminaires assumés, entrons dans son monde, à la suite d'un de ses personnages, Aldous Comte.

Parmi les changements importants apportés au monde d'Huxley, les humains immortels sont bisexués — chacun s'appelle Madame-Monsieur ou Monsieur-Madame (on aurait pu dire mam'sieur et msieur'dame). Ils baisent en communion spirituelle en relation avec les matrices des églises. Des intelligences artificielles remplissent toutes les fonctions qu'on désire. Trop impertinentes ou trop “respectueuses” (au sens sartrien) selon que ces I.A. sont sapiens sapiens ou homéoputes. La communication télépathique volontaire avec implant central est possible. Les publicités du type Blade runner couvrent à peu près toutes les surfaces envisageables. La colonisation, terraformation de Mars est entreprise depuis des années. La construction d'une station orbitale géante va permettre également d'évacuer le trop-plein d'humains.

Car, plusieurs problèmes contradictoires se posent. D'une part, on fabrique si peu d'enfants que ceux qui en désirent désespèrent. Par ailleurs, l'immortalité, cause de surpopulation, provoque des épidémies de suicide.

Karl Carnap, leader centriste, qui vise la PDGation fédérale, le pouvoir administratif suprême au cours de la campagne sénatoriale qui s'annonce, se présente à Saint-Nicolas du Chardonnet. Avec le projet d'augmenter la production d'enfants et de favoriser l'expansion spatiale. Mais ses adversaires, Antoine Proudhon, et surtout Albert Schrödinger, le démocrate, s'y opposent pour de multiples raisons, en particulier à cause de la fièvre botulinique qui décime une Humanité préfabriquée, privée de ses défenses immunitaires. « Il faut remettre l'Homme et sa singularité, en premier lieu, génétique, au centre de la société. »

Affrontement qui aurait pu donner lieu à un thriller politique original. Mais Antoine Buéno, qui vise à l'universel, préfère décrire en détail cette société, à travers une suite de chapitres qui fourmillent d'idées spéculatives, traversant des luna-parks virtuels, des coïts surmodernes, des hypothèses gastronomiques, évoque la numérisation de l'Humanité, la liste n'est pas close.

Ce qui rend, grâce à un style énergique et jubilatoire qui ne recule devant aucun effet “épatant”, le Soupir de l'immortel à la fois aussi fascinant que lassant. Car le lecteur éberlué, souvent ravi, souffre néanmoins d'une réelle absence de structure narrative.

Naturellement, je n'ai pu m'empêcher de me précipiter à la projection de Gravity. Certes, le scénario tient sur une feuille de papier à cigarette, mais la beauté des images d'une qualité 3D exceptionnelle (et pourtant je n'aime pas la 3D), la somptuosité des mouvements de caméra, l'intense réalisme des situations font oublier que le suspense est à peine crédible.

Je veux bien croire qu'une astronaute aussi bien entraînée que Sandra Bullock puisse lire le russe et le chinois, difficilement qu'elle fasse démarrer un Soyouz en feuilletant le mode d'emploi. Qu'importe ! Pour les amateurs d'espace (dont je suis), c'est une occasion unique de survoler la Terre à 600 kilomètres d'altitude, de ressentir les effets de l'absence de gravitation, de rêver à la solitude infinie de l'Homme errant au sein du vide.

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