Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

Steven Amsterdam : Ces choses que nous n'avons pas vues venir

(Things we didn't see coming, 2009)

roman de Science-Fiction

Philippe Curval, billet du 1er septembre 2012

par ailleurs :
Puzzle fiction

Je ne l'avais pas vu venir ! Paru l'année dernière chez Albin Michel, le roman de Steven Amsterdam, Ces choses que nous n'avons pas vues venir, va renaître incessamment sous peu dans la collection "Folio Science-Fiction".

A priori, je ne me serais pas précipité pour le lire car, depuis John Christopher, l'un des maîtres britannique, prolifique de la Science-Fiction tendance catastrophe dont le souvenir s'est un peu effrité depuis la fin des années cinquante, mon intérêt pour le genre a suivi la même pente fatale. « Comment ! » vous écrierez-vous, « C'est négliger les chefs-d'œuvre de Ballard ! » Oui, je les respecte, mais je préfère tellement ses romans ultérieurs à la période désastre.

« Alors, pourquoi parler de celui-ci, précisément, puisque ce type de fiction ne vous intéresse pas ? » Parce que c'est un texte saugrenu qui innove en la matière. D'ordinaire, les écrivains qui se penchent sur la fin du monde ou sur ses prémices s'attachent à décrire par le menu et d'une manière tatillonne les causes de tous les événements abominables qui vont se succéder. Les tchernobylofukushimistes sont plus radicaux : ils se tapent sur la tête à coups de marteau. À l'inverse de Steven Amsterdam qui n'explique rien, ne dit rien, ne laisse même pas supposer qu'il se produit quelque chose de précis. Pour lui, le roman catastrophe est une fin en soi puisqu'il ne lui semble pas nécessaire d'en évoquer les prolégomènes ni d'en justifier les conséquences.

Tout commence d'ailleurs par un chapitre d'une rare subtilité, où le jeune héros qui se rend chez ses grands-parents pour le soir du Nouvel An s'engage dans un dialogue entre son père et sa mère :

« Il n'y a pas que des vivres. Des documents, des choses… au cas où…
— Au cas où… ? » dit-elle.
— « On est préparés. » lui dis-je fièrement.
— « Préparés à quoi ?
— À l'effondrement de l'interdépendance. » dis-je.
— « Ouh là là, ça n'a pas l'air très réjouissant. C'est ce qui nous attend ? »
Je crois qu'il va se passer quelque chose, mais je lui dis :
— « Peut-être. »

Le lecteur n'en saura pas plus sur l'effondrement de l'interdépendance. Même s'il persiste à analyser chacune des pages pour saisir exactement de quel genre de phénomène il s'agit.

Dans un premier temps, le héros, mûri par un comportement asocial après avoir piqué le fric de papy, mort d'inanition, parcourt les terres saturées de pluie, envoyé par la gestion territoriale pour protéger les gens de la famine et de l'inondation. Il échappe de peu à deux panthères, la mère et la fille, dont l'une le dézingue d'un coup de revolver. Le voilà bientôt réfugié dans un campement, grillé par un soleil crasseux, écumant les magasins avec sa compagne pour ne pas mourir de faim. L'époque est à la violence, conflits frontaliers, grippe, changements climatiques, migrations. Quelque temps plus tard, il devient vérificateur, distribue des aides pécuniaires. Puis pillard réfugié dans une luxueuse villa déglinguée au sommet d'une colline à se dorer la pilule en regardant de vieux films de SF.

Enfin, le voilà chargé d'éduquer un ado délinquant qui… mais je ne vous dirai pas la suite qui sera à votre disposition à partir du 2 novembre.

On le voit, la construction laisse à désirer, ce roman ressemble à un puzzle dépareillé, même si l'on devine qu'il existe vaguement une sorte de gouvernement, qu'une scission effective s'est produite entre les villes et la campagne. Et pourtant, Ces choses que nous n'avons pas vues venir intrigue par des détails foutraques, des rebondissements insoupçonnés, une écriture impertinente.

En somme, ce roman est la parfaite métaphore d'un syllogisme de Jules Echnort : à la naissance, on cherche à deviner le sens de ce qui vous entoure, on tente de s'y adapter, on meurt sans rien y comprendre.Je l'ai lu pendant l'excellente convention de Semoy qui m'a rajeuni de quarante ans et paradoxalement statufié.

Philippe Curval → samedi 1er septembre 2012, 16:15, catégorie Chroniques

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