Chroniques de Philippe Curval

Serge Brussolo : l'Homme aux yeux de napalm

roman de Science-Fiction, 1989

chronique par Philippe Curval, 1990

par ailleurs :
Comment chasser les mythes

Les pulsions de l'imaginaire conduisent parfois au désir de vivre intensément ses fantasmes. Hélas ! un têtu tête-à-tête avec le quotidien dissipe les plus chaudes exhalaisons de notre cerveau. Serge Brussolo, dont les circonvolutions cérébrales abritent un tumultueux bestiaire d'idées, ne se résout pas à cette usure. Voilà pourquoi il bombarde l'existence de sa littérature nocturne. Cette fois, il salue l'année nouvelle avec l'Homme aux yeux de napalm, où son horreur du temps de l'enfance lui inspire de viscéraux frissons.

N'est-il pas odieux, pense Brussolo, cet asservissant univers de Noël où les rêves des garçonnets et des fillettes sont soumis au marketing ? De quoi sortir son fly-tox pour chasser le mythe. Mais chez cet écrivain, la ligne droite n'est pas le plus court chemin entre le commencement et la fin d'un cauchemar. Aussi charge-t-il son arme d'une encre adipeuse, capable d'engluer dans la prose ses plus sombres visions afin de tracer un roman-labyrinthe.

Drame protéiforme de l'incommunicabilité, l'Homme aux yeux de napalm débute dans le bureau d'un éditeur où Marie Trévor lit Père Noël-Kommando, le cœur au bord des lèvres. Cette directrice de collection déteste la Science-Fiction. David Sarella, qui en écrit, lui rend cordialement cette haine. D'ailleurs, il a horreur de tout ce que “pondent” les autres. Pourtant, David a une raison majeure de se lancer dans cette œuvre : le Père Noël, il l'a heurté jadis d'un coup d'aile de voiture au cours d'une virée en famille. Avec son copain Jean-Jacques, dit le Culturiste fou, il s'est même amusé à disséquer ce cadavre clos. Dommage, car depuis, la créature extraterrestre les poursuit d'une furieuse vindicte qui n'épargne ni la réalité ni les songes.

« Quand le Père Noël vous pisse dessus, on a intérêt à sortir le canot de sauvetage ». Mais voilà ! David est masochiste. Au lieu de s'enfuir à toutes rames, il fait face et résiste. D'où ce drame de l'étouffement d'un écrivain saisi d'asthme à la lecture de son propre synopsis, d'où cette noyade en forme de roman de SF où le style de Brussolo coule tel du ketchup fermenté à l'intérieur d'un hamburger moisi. Au cœur de sa mêlée organique avec le conte de Noël, il baigne dans le nauséeux, l'obscur, le purulent, le glauque avec un talent qui n'épargne ni les bonnes ni les mauvaises idées. Un courageux effort pour réduire en bouillie les stéréotypes de l'enfance, surtout aux éditions Denoël. Ah ! le vilain garçon qui sera privé de prix littéraire.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 275, mars 1990

Michael Coney : le Gnome (le Chant de la Terre – 4)

(Song of Earth – 4: Fang, the gnome, 1988)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 1990

par ailleurs :

Michael G. Coney, dont l'œuvre n'a fait que se développer et s'embellir depuis que je découvris son Syzygie en 1975, a voulu tenter une expérience similaire avec le Gnome. Ici, ce sont les Chevaliers de la Table ronde qui sont soumis au banc d'essai de la Science-Fiction, avec un zeste de Tristan et Yseult et de farfadets dans la forêt. J'oserai dire que l'essai n'est pas concluant.

Grâce au mécanisme subtil des aléapistes qui s'entrecroisent dans le Silong pour tramer l'histoire de l'univers, Coney est parvenu jusqu'ici à sublimer les hypothèses les plus folles. Cette fois, il voudrait nous inciter à croire que l'héroïque fantaisie peut être de la SF. Certes, nous en avons toujours douté. Heureusement, pour soutenir son propos, il s'empêtre dans des dialogues creux et des digressions interminables, autour de personnages pittoresques et de situations imaginatives ; ce qui nous permet de conserver le même avis. Par instants, l'écrivain s'énerve un peu sur son sujet pour nous procurer des bonheurs de lecture. Mais c'est trop peu sur 318 pages. Je me suis laissé dire que le volet suivant de cette saga, qui devrait paraître bientôt, remettra le gnome en selle sur sa bonne aléapiste. Allons tant mieux !

Philip K. Dick : Nick et le glimmung

(Nick and the Glimmung, 1988)

court roman de Science-Fiction pour la jeunesse

chronique par Philippe Curval, 1990

par ailleurs :

Si vous aimez les contes pour enfants et que vous raffolez des extraterrestres, n'hésitez pas à vous procurer Nick et le Glimmung, un court inédit de Philip K. Dick paru en "Folio junior". Sur la Terre surpeuplée (en 1992), les animaux domestiques sont interdits. Aussi Nick et sa famille préfèrent-ils s'expatrier sur la Planète du Laboureur, plutôt qu'abandonner leur chat, Horace. Tout serait prétexte à un tableau idyllique, si le Glimmung ne marquait cette colonie de son emprise. Alors, greumzs, spidiles, pélicouics, krakos cornus, mange-père, nynx etc., errent, déboussolés, sur un monde qui ne tourne pas rond. Lestes et vigoureux, ces croquis sur le vif dénotent la patte du Maître. Humour et métaphysique sont les deux mamelles du conteur.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 275, mars 1990