Chroniques de Philippe Curval

A.A. Attanasio : l'Arc du rêve

(Arc of the dream, 1986)

roman de Science-Fiction dans l'univers de Radix

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :
Retour aux primitifs

Loin des exquises déliquescences actuelles de la SF, du vérisme onirique à la spéculation conceptuelle, A.A. Attanasio s'inscrit résolument dans la lignée des néo-pionniers. Il s'affirme le partisan résolu d'une expérience de brassage entre Science et Fiction pour connaître ce que produit exactement leur réaction chimique dans la cornue de la littérature. Vases communicants ou explosion dévastatrice. Son Arc du rêve pourrait être lu aujourd'hui par un néophyte avec la même voracité qui fit le succès d'A.E. van Vogt, au moment où Boris Vian traduisait la Faune de l'espace. Hélas, si Vian n'hésita pas à polir la littérature brute de Van Vogt pour lui donner du style, il n'en est pas de même pour Isabelle Delord qui semble préférer le mot à mot pour enfiler des perles. Je cite : « Des voix gargouillaient dans son for intérieur. » ; « Le rythme de ses pas mima la futilité de sa pensée. ». Ou travailler dans le burlesque : « L'argent pastichait l'édredon du temps. ». Ou virer à l'expressionnisme allemand : « Ses mains étaient plâtrées de mucus sidéral. ». Enfin, dans le précieux : « Le calvaire de l'étranger dénuda sa sapience. ».

Qui sait à quoi ces phrases malheureuses, et elles abondent, font référence dans l'édition originale ? Je préfère ne pas le savoir, car il y a chez Attanasio un tel souffle, une telle puissance inventive qu'il serait dommage de se laisser abattre par quelques excès de charabia. Il suffit donc de considérer l'Arc du rêve comme une peinture naïve, avec ses défauts de perspective et ses hiatus, pour en apprécier l'énergie primitive.

La référence à Van Vogt et à la Faune de l'espace n'est pas simple figure de style car, dans ce récit, un être tombé d'une autre dimension tente de fusionner avec quatre Terriens afin de rejoindre son univers et de sauver à la fois ces créatures et leur planète. Il y a là un “nexialisme” sous-jacent. Ce sentiment douloureusement partagé d'appartenir au grand Tout qui fit les beaux jours du "Rayon fantastique", collection où parut Van Vogt et où la Science-Fiction s'affirma en France, dans son acception moderne. Pour Dedans-dehors, le héros d'Attanasio en forme de pièce de monnaie, au commencement était le Nonchaloir, la paresse d'exister dans le magma universel. Puis vint le désir d'être libre : « La vie est le besoin qu'a la nature d'être abandonnée. ». L'Homme, fuyant le Paradis, ne fit pas autre chose. Pourquoi les quatre déchets d'Humanité, une Française schizophrène, un voyou loser, un vieux Chinois épuisé par les révolutions, un Américain chômeur et joueur, auxquels Dedans-dehors fait appel pour le sauver, ne tenteraient-ils pas de reconquérir ce droit suprême au farniente qui caractérise les quarks et les trous noirs, les puces et les Hommes depuis que le big bang préluda à l'expansion de l'univers ?

Commence alors une poursuite exaltée à travers la planète pour replacer le pion essentiel de cette cosmogonie, l'être venu d'une autre dimension, à la place exacte où il a été trouvé. Mysticisme et thriller, physique quantique et suspense font bon ménage dans ce roman ahurissant que n'aurait pas renié Jean de La Hire s'il avait été visité par les mânes d'Einstein.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 248, décembre 1987

Cordwainer Smith : les Seigneurs de l'Instrumentalité

(the Instrumentality of Mankind, 1950-1966)

romans et nouvelles de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :

L'intégrale des Seigneurs de l'Instrumentalité vient de paraître pour la première fois, en France et en six volumes compacts. Jacques Goimard s'est livré à une véritable enquête pour rassembler et mettre en ordre tous les textes de cette gigantesque histoire du futur, travaillant dans sa préface “magistrale” à une mise à nu de l'auteur par son admirateur même. Quitte à le disculper de sa tendance droitière. C'est vrai qu'il existe en SF un au-delà politique où les idéologies en cours aujourd'hui semblent bien dévaluées. C'est aussi vrai que Cordwainer Smith, comme bon nombre d'auteurs américains, ne savent leur en substituer que de plus désuètes telles l'humanisme ou le libéralisme. Reste que cette somme de nouvelles demeure un monument de la Science-Fiction classique, inspiré par l'ange du bizarre.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 248, décembre 1987

André Ruellan : Tunnel

roman de Science-Fiction, 1973

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :

Cela commence à Paris, rue de Rivoli. À travers une vision d'apocalypse ordinaire, l'un des plus frémissants chants d'amour de la SF contemporaine. À déconseiller fortement aux bébés éprouvettes.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 248, décembre 1987