Chroniques de Philippe Curval

Pierre K. Rey : l'Assassin habite au xxie siècle

anthologie de polar-SF, 1987

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :
Polar or not polar

Ce n'est pas dans un pur accès de mégalomanie que je cherche à envahir la rubrique contiguë.(1) Depuis longtemps, les auteurs de SF ont tâté du polar et réciproquement. Quand ce ne furent pas, à l'instar de Fredric Brown, un réflexe ambidextre qui équilibra leur santé. Il y a, en effet, du gaucher contrarié à vouloir sortir d'un genre. Quoi de plus satisfaisant pour John D. MacDonald, par exemple, d'écrire le Vin des rêveurs après un chef-d'œuvre comme les Énergumènes ? Simplement pour prouver que Polar ou SF ne sont qu'un avatar de son talent protéiforme. Qu'il écrit, en somme, et que la manière ou le genre empruntés ne sont qu'un espace d'inspiration. S'adonner aux littératures dites marginales n'est pas plus condamnable que d'avoir été d'avant-garde. Tout au plus, peut-on dire que ces modes d'expression ont été desservis auprès de l'intelligentsia par leur exploitation commerciale. Aussi n'est-ce pas sans machiavélisme qu'un auteur de SF se débauche dans le Polar et réciproquement, versant d'un sous-genre dans l'autre avec l'orgueil du travailleur immigré.

Pierre K. Rey a saisi l'occasion d'exposer les fruits de ce mariage blanc, élémentaire-mon-cher-Watson, dans la quatrième anthologie thématique qu'il sort chez Londreys. G.J. Arnaud, dans sa postface, exprime avec subtilité pourquoi la tentation d'exploiter les deux genres, comme Jérôme et Jean, taraude.

Avec un petit plus, c'est qu'il s'agit ici de la greffe organique de la SF et du Polar sur une table d'opération. D'où sortent des hybrides fort divers et divertissants. Comme dans tout métissage, les gènes de l'un ou de l'autre triomphent ou se combinent. Les plus jeunes écrivains, comme James. P. Hogan, Joel Richards et Bob Shaw appliquent le système légèrement anesthésique de l'enquête classique à de brillants thèmes de SF. Edward Wellen et Gordon R. Dickson soumettent non sans humour l'enquête classique à la logique de l'absurde chère à la SF du style Galaxy. Versant "Série noire", Malzberg, Ellison, MacLean et Young s'inquiètent surtout des problèmes d'écriture que pose le mélange des genres. Kewin O'Donnell, Jr., enfin, obtient un joyau d'équilibre avec "Poste de nuit", terrifiante conclusion de cette anthologie dont nous attendons une nombreuse progéniture. Comme nous attendons d'un cocktail une ivresse plus intense et plus forte que celle occasionnée par chacun des alcools qui le composent.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 243, juin 1987


  1. La chronique Polar d'Alexandre Lous publiée conjointement par le Magazine littéraire. — Note de Quarante-Deux.

Jean-Marc Ligny : Yurlunggur

roman fantastique, 1987

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :

L'enquête que mène Jean Marc Ligny sur les traces de Yurlunggur, le python sacré des mythologies aborigènes d'Australie, est d'une tout autre nature. D'abord parce que les traces de ce serpent monstrueux, en forme de pneu Michelin XZX, ne se lisent que sur l'asphalte des rues, dans un décor architectural de préférence. Celui de la Défense en particulier où habitent Fox et Flamme, prisonniers de la coke, sous-dealers, dont les rêves d'évasion minables s'organisent autour d'un objet fétiche, tableau crypté d'une plage de l'océan Indien, du côté d'Adelaide, que leur a remis un mystérieux passeur.

Il faut reconnaître un courage à Ligny, c'est d'avoir abandonné d'un coup le bataclan new-wave-anglo-sax dont il s'était fait brillamment le chantre avec Temps blancs et Biofeedback. Hélas, cette désintoxication ne lui a pas réussi. En se lançant dans un Fantastique urbain à connotation de SF, il n'a pas atteint ce lyrisme frémissant qui requiert un haut niveau d'écriture, indispensable pour effacer les nécessaires lacunes d'un récit impressionniste, sensible à fleur de peau, ou chaque touche compte pour créer l'envoûtement. Le lecteur reste frustré devant la banalité de cette histoire extraordinaire.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 243, juin 1987

Tim Powers : les Voies d'Anubis

(the Anubis Gates, 1983)

roman

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :

Les Voies d'Anubis, de Tim Powers, vient de recevoir le prix Apollo. Ce qui se fait de mieux dans le mélange des genres, ici Polar, SF, Fantastique, historique, épouvante, naturalisme, malédiction des Pharaons se télescopent allégrement. Le plus fort pourcentage d'idées au centimètre carré. Par un auteur qui n'a pas la plume dans sa poche.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 243, juin 1987