KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Dominique Douay : la Fenêtre de Diane

roman de Science-Fiction, 2015

chronique par Pascal J. Thomas, 2016

par ailleurs :

Dominique Douay n'en finit pas de revenir. Après Car les temps changent, que nous avions eu le plaisir de mentionner dans ces pages, paru directement dans "Hélios" (la collection de poche des Indés de l'Imaginaire) où il tenait compagnie à deux rééditions de ses romans essentiels des années 1970-80, voici un roman d'une autre ampleur.

La couverture cartonnée et la jaquette gris perle impressionneront au premier abord ; elles sont avant tout le vêtement d'une intrigue complexe et développée. Pour vous en donner une idée, nous visitons divers épisodes de la vie de Gabriel Goggelaye, né dans les années 1950, qui après une adolescence timide va travailler dans des cabinets ministériels au début des années Mitterrand, et réaliser en tant qu'expert un certain nombre de missions à l'étranger. Ce qui l'amène notamment à séjourner plusieurs fois en Roumanie. Et surtout, en 1986, à l'occasion d'une mission au Burkina Faso, et à cause d'une lettre reçue à Paris qui avait piqué sa curiosité, à aller au cœur du pays Butua pour rencontrer le mystérieux Chef Kambou Hien, personnage hors du commun dont il devient une sorte de disciple pendant trois semaines.

Rien là de totalement extraordinaire. S'il n'y avait ces occasionnels souvenirs du futur qui viennent le tourmenter. Et les fantômes qu'il croit apercevoir, qui le surveillent (et souvent lui font perdre ses moyens) à chaque fois qu'il s'apprête à faire l'amour. Et ce sentiment, pendant l'acte, qu'il quitte son propre corps pour se glisser dans les organes internes de sa partenaire, et qu'il y éradique des maladies sournoises sur le point d'éclore.

Si Goggelaye occupe la majeure partie du roman, il n'est pas seul. On comprend progressivement que sa vie n'est qu'un fil-monde dans la Protée, un gigantesque ensemble d'univers parallèles dont tout le déroulement est stocké dans le Livre, une planète artificielle aux confins de la galaxie. Nous partageons aussi le point de vue des trois personnages qui l'épient, un Lecteur, un Surveillant et un Très Haut, tous intégrés dans la hiérarchie de l'organisation (extraterrestre) qui décrypte le Livre. Auquel il faut ajouter la fameuse Diane, une machine intelligente, arrivée là avec les deux astronautes dont elle avait la garde, Atlan et Berenski. Certains des passages mettant en scène ce trio avaient fait l'objet d'une publication séparée en 2014 comme nouvelle, "Pas de deux sur la planète des ombres".(1) Pour eux, il ne fait pas de doute que Goggelaye est doté de pouvoirs exceptionnels, sans qu'ils soient vraiment sûrs s'il modifie le fil dans lequel il vit, ou s'il arrive à faire glisser sa conscience d'un fil à un autre, plus satisfaisant pour lui. Quoi qu'il en soit, le Lecteur, qui a dû quitter le tranquille détachement qu'implique sa charge pour se plonger dans la vie des mondes de la Protée, a une mission bien précise à confier à Goggelaye, et va ordonner dans ce but les épisodes de sa vie.

On retrouve dans ce récit des éléments présents depuis longtemps dans l'œuvre de Douay. Comme dans Strates, un homme d'âge moyen a l'occasion de revenir sur sa vie, et notamment sur sa vie sexuelle d'adolescent, au cours de laquelle il est séduit par des femmes plus âgées. Le personnage de Goggelaye me semble toutefois décrit avec beaucoup plus de profondeur (comparaison qui, hélas, repose sur des souvenirs de lecture bien lointains).

On relève aussi la présence de plusieurs morceaux de véritable Dominique Douay dans la recette. Sans doute, les cabinets ministériels en 1982. Et on reconnaît aisément — au-delà de Philip K. Dick, nommé, et dont le décès sert de marqueur temporel — deux directeurs de collection de SF de l'époque, dont les noms de famille sont des prénoms à une lettre près ; et, sous un nom moins transparent, un auteur de SF français qui a connu une bien mauvaise fin. N'ayant pas une grande connaissance de la biographie de l'auteur de chair et d'os, je ne peux dire si d'autres fragments relèvent de l'autobiographie déguisée. Le récit en a souvent l'épaisseur. Les descriptions du Burkina Faso, notamment, ont un relief remarquable (en tout cas pour quelqu'un comme moi qui n'y est jamais allé) et pas mal d'humour.

Sans que c'en soit une conséquence, l'intrigue a aussi plus de poids émotionnel que dans bien des romans d'exploration hallucinatoire — dont Douay en particulier, et la SF française en général, étaient friands entre 1970 et 1985. Sans jamais la connaître, on finit par se soucier du sort de Zuzana, et s'attendrir de la dévotion que lui manifeste la grosse brute qui a décidé de se consacrer à elle. J'avoue avoir été moins saisi par les dialogues entre les personnages de la planète du Livre, dont les rapports sont trop schématiques, et les caractères trop raidement définis (bien que capables de changer). Mais ce n'est que détail sur l'ensemble. Patrice Duvic analysait la “nouvelle SF française” des années 70 en la comparant au cinéma fantastique français : l'intrigue suivait en général l'enfoncement progressif dans le domaine du rêve d'un protagoniste passif. Si la Fenêtre de Diane partage bien des caractéristiques avec la SF française des années 70, elle s'en détache, finalement, par l'attitude de son protagoniste, qui apprend à prendre ses rêves en main et à changer son univers.

Dominique Douay n'en finit pas de revenir. Au moment où vous lisez ces lignes, un autre roman est déjà paru dans la même collection, Brume de cendres, qui se situe dans le même univers de la Protée. Une lecture qui va devenir pour moi obligatoire après celle de la Fenêtre de Diane — ainsi va l'addiction littéraire !

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 78, août 2016


  1. Elle avait été finaliste du prix Rosny aîné 2015 mais ne m'avait pas convaincu en tant que texte séparé.

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