KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Morgane Caussarieu : Dans les veines

roman fantastique, 2012

chronique par Philippe Paygnard, 2016

par ailleurs :

On le sait maintenant, la collection "Hélios" permet de retrouver, au format poche, les meilleures publications des éditions Mnémos (et des autres Indés de l'Imaginaire), à l'instar de cette plongée dans un monde de la nuit bordelaise issue de l'imagination fertile de Morgane Caussarieu.

Mélangeant des éléments réels et d'autres totalement fantasmés, la jeune romancière fait de la capitale girondine le vivier d'une bande de vampires déjantés. Sans aucun état d'âme, ces mortelles créatures noctambules transforment fêtards, SDF et autres égarés en nourriture. Pas moins de quatre suceurs de sang constituent ainsi une bien étrange famille recomposée définitivement liée par une même soif inextinguible. Il y a la trop belle Seiko, dont la féminité exacerbée et les mystérieuses origines asiatiques affolent les hommes, jeunes ou vieux, qui s'offrent à elle et à ses crocs implacables. Lorsqu'elle n'égorge pas ses proies, elle joue les mères de substitution auprès de Gabriel dont le corps de petit enfant aux yeux vairons cache le plus terrifiant des monstres. Animé par une sourde colère, celui-ci trouve réconfort près de Seiko et apaisement grâce à la présence de son “grand frère”, Damian. Malgré la malédiction qui le frappe, ce dernier conserve une jeunesse et une beauté rendues éternelles par la consommation régulière de sang. Ultime addition à cette étrange cellule familiale, J.-F. Macaire, le vampire punk, cherche encore sa place dans ce petit groupe, tout en essayant d'y intégrer ses potes Michou, Bébert et Carcasse qui lui servent de réservoir sur pattes.

Comme on peut le constater, avec les vampires bigarrés de Dans les veines, Morgane Caussarieu s'éloigne radicalement de la figure classique du suceur de sang et de l'archétypal Dracula (de Bram Stoker, 1897). Débarrassant ses prédateurs de toute aura gothique, elle en fait des machines à tuer efficaces, que nul remords ne vient hanter et qui ne craignent guère que la lumière du jour. Face à eux, elle n'aligne qu'une paire de policiers, les lieutenants Pauline Brune et Gustave Baron, tout à fait ordinaires, qui sont forcément dépassés par la violence extrême de leurs adversaires. Deux flics dont le destin se trouve intimement lié à celui des monstres quand la mère de l'une croise la route de Macaire et de sa clique, alors que Lily, la fille de l'autre, s'amourache du beau Damian.

Ce dernier personnage est d'ailleurs l'un des plus intéressants du roman de Morgane Caussarieu. Le fauve sans pitié qu'il est, le nombre de ses victimes au fil des chapitres le prouve, se laisse pourtant séduire par sa jeune proie. En effet, Lily lui renvoie le souvenir d'une bien-aimée qu'il a enfoui, au propre comme au figuré, au plus profond de son cœur. Tout au long de son récit, Morgane Caussarieu jongle habilement entre la bestialité de sa créature et la nostalgie romantique de sa relation avec Lily, proie consentante de son appétit vampirique, mais aussi victime expiatoire déjà soumise aux abus paternels.

Certes, on peut ne pas apprécier la fin un peu expéditive de cette liaison complexe et ambiguë qui sombre dans le gore à la manière des films Massacre à la tronçonneuse (de Tobe Hooper, 1974) et Hostel (d'Eli Roth, 2005). Il est cependant impossible de ne pas être impressionné par le travail fait par Morgane Caussarieu sur ce couple hors normes constitué par le vampire et sa proie. Avec Damian et Lily, elle s'éloigne définitivement du modèle incontournable que représentait la relation entre le comte Dracula et Mina Harker.

On sent d'ailleurs que les influences de la romancière sont tout autres. À l'évidence, ce n'est pas le Dracula de Bram Stoker qui se trouvait sur sa table de chevet, mais plutôt Anne Rice et ses Chroniques des vampires (onze romans de 1976 à 2014)(1) ou les DVD des épisodes de la série TV True blood (2008-2014). C'est donc avec un humour certain qu'elle n'hésite pas à baptiser le chien méchant qui veille sur le sommeil diurne de sa clique vampire du doux nom de Dracula.

À ces influences tout à fait honorables, s'ajoute une approche très personnelle des suceurs de sang qui n'est pas sans rappeler certaines œuvres de Poppy Z. Brite, à commencer par Âmes perdues. Dans cet ouvrage, la romancière américaine osait, parmi bien d'autres choses, rendre explicite la sexualité sans tabou de sa race de vampires.

Un autre protagoniste attire l'attention sur lui, au sein de cette famille hautement dysfonctionnelle. Il s'agit de Gabriel l'enfant vampire. Son aspect physique d'enfant perdu et ses dents pointues de saigneur de la nuit, qui ne sont en fait que des dents de lait branlantes, font de ce petit être un monstre étonnant que Morgane Caussarieu prend un évident plaisir à décrire. Sa présence au sein de cette bande de prédateurs renvoie forcément au personnage de Claudia, la petite fille vampire d'Entretien avec un vampire d'Anne Rice, même s'il ne partage avec elle que son enfance volée et sa soif de sang.

Dès ce premier livre, Morgane Caussarieu impose un ton différent servi par une plume alerte qui fait oublier les rares défauts de jeunesse de Dans les veines. S'agissant d'une réédition poche, elle offre tout loisir de partir à la découverte des œuvres plus récentes de l'auteure à commencer par son deuxième roman, Je suis ton ombre (2014), et son essai Vampires & bayous (2013).

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 77, février 2016


  1. Dont la Reine des damnés & le Voleur de corps, chroniqués dans KWS.

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