KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

[Collectif] : les Finalistes du prix Rosny aîné 2015

anthologie de Science-Fiction, 2015

chronique par Pascal J. Thomas, 2015

par ailleurs :

Comme il y a deux ans, j'utilise ce livre qui n'en est pas un — plutôt une aide et une incitation pour le vote au deuxième tour du prix Rosny aîné, catégorie nouvelles — pour faire un point très partiel sur la production francophone millésimée 2014 de textes courts en SF et domaines connexes. Vue sa faible diffusion, l'objet lui-même est un collector's item instantané,(1) avec sa magnifique couverture de Caza (dont le dessin reproduit l'affiche de la convention). Mais ce qui compte pour nous, c'est le sommaire, qui vous permettra le cas échéant de traquer les textes dont il est ici question :

  • Lionel Davoust : "la Route de la conquête" dans le recueil homonyme chez Critic ;
  • Sylvie Denis : "le Court roman de la momie" & Dominique Douay : "Pas de deux sur la planète des ombres", tous deux dans le millésime 2014 de l'anthologie périodique Utopiales chez ActuSF ;
  • Sylvie Lainé : "l'Opéra de Shaya" dans le recueil homonyme chez ActuSF ;
  • Martin Lessard : "Vingt fois sur l'émotion remettez votre ouvrage" dans le nº 27 de la revue Galaxies ;
  • Arnauld Pontier : "l'Homme de sable" dans l'anthologie le Réchauffement climatique et après… chez Arkuiris.

Vous saurez sans doute déjà que le lauréat a été le texte de Sylvie Lainé, "l'Opéra de Shaya", qui a raflé tous les prix dans sa catégorie cette année. Périlleuse exploration ethnologique et amoureuse, il ne laisse personne indifférent, et nous avons déjà dit tout le bien que nous en pensions dans notre chronique du recueil homonyme.

Qu'en est-il de la concurrence ? On remarquera tout d'abord que la petite édition est sans cesse plus active dans le domaine qui nous plaît, ce qui rend les choses difficiles à suivre, mais est signe de santé. Et que la moisson est abondante cette année, surtout en raison de la présence des textes de Davoust, qui a les dimensions d'un roman (130 pages), et de Lainé, un long récit (plus de 60 pages).

Les nouvelles vraiment courtes sont celles de Lessard et de Pontier. "Vingt fois sur l'émotion remettez votre ouvrage" nous met dans la tête d'un robot meurtrier, ce qui n'est guère original, et homosexuel, ce qui l'est un peu plus, mais reste mince. "L'Homme de sable" raconte une histoire aux prémisses tellement invraisemblables (sur la transformation du sable en végétaux et retour) que j'ai eu du mal à la lire attentivement. L'absence du moindre personnage n'aide pas.

Après ce que je considère comme deux échecs, passons à deux déceptions relatives. Dominique Douay, qui a effectué un remarquable comeback dans la catégorie romans,(2) semble avec "Pas de deux sur la planète des ombres" se cantonner à une SF beaucoup plus classique : deux astronautes arrivés sur une planète obscure (à tous les sens du terme) se retrouvent pris par les hallucinations qu'entraîne leur isolement. Je n'ai pas vu où le texte voulait en venir.(3)

Lionel Davoust est beaucoup plus clair dans les intentions de "la Route de la conquête". Stannir Korvosa est une généralissime d'un Empire conquérant, hégémonique même, sur une planète étrangère. Elle doit soumettre les Umsaïs, habitants d'une immense prairie, qui refusent autant la guerre que l'idée de soumission. Plus le texte avance, plus la généralissime a des doutes, plus elle découvre la structure anarchique originale de la société umsaï. Mais elle doit compter avec son numéro deux, très va-t-en-guerre. Cela se lit bien, mais c'est beaucoup trop long pour son argument, d'autant plus qu'une intrigue secondaire portant sur des recherches minières et de possibles pouvoirs paranormaux des nomades umsaïs est, semble-t-il, abandonnée au moment de conclure. Surtout, autant la civilisation umsaï (très inspirée de celle des Indiens des Plaines) que les dilemmes qui se posent au généralissime manquent cruellement d'originalité. Impression mitigée, donc.

Le texte de Sylvie Denis, "le Court roman de la momie", évoque effectivement un roman condensé par la quantité de rebondissements et de développements potentiels qu'il implique. C'est du recueil le texte qui surprend le plus, et donne le plus à penser — voire à polémiquer : des amis dont je respecte beaucoup les opinions l'ont fort peu prisé. Dans une époque très proche de la nôtre, une momie d'Asie Centrale vieille de quatre mille ans se trouve ramenée à la vie par on ne sait quelle anomalie des systèmes de nano-machines permettant en temps normal une simple conservation de telles reliques. Et elle se révèle dotée de pouvoirs étonnants d'apprentissage et de conviction sociale. L'homme qui l'a illégalement ressuscitée et gardée chez lui ne sait plus trop quoi faire de cette encombrante compagne… On croit s'engager dans un remake de Pygmalion 2113, voire de Des Fleurs pour Algernon, et c'est tout autre chose au bout du compte, le texte ne cessant de surprendre le lecteur sans — avantage d'un roman condensé — lui laisser le temps de réfléchir. Sur la longueur d'un roman, il y aurait sans doute un travail considérable de pseudo-explication à fournir pour convaincre le lecteur de suspendre son incrédulité sur la durée, et le potentiel d'attaquer de nouvelles questions (comment en détail se développe l'influence irrésistible sur la mode ? Peut-on en savoir plus sur ses origines ?). Ce serait intéressant, et plus SF, ce serait aussi une autre œuvre, pas forcément meilleure, que Denis donnera peut-être, ou peut-être pas. En attendant, la nouvelle est à lire.

N'ayant pas goûté au cru 2014, je me bornerai à comparer celui-ci à 2013, à l'avantage, dirais-je, de 2015. Certes, tous les textes ne sont pas bons, mais les pires sont nettement plus lisibles que les pires de 2013 ; et les deux meilleurs (Denis et Lainé) sont remarquables, et largement supérieurs aux meilleurs du cru 2013. De quoi donner envie de continuer à lire recueils et anthologies.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 76, octobre 2015

Lire aussi dans KWS la chronique des crus 2013, 2016, 2017, 2018 & 2019 par Pascal J. Thomas


  1. Collectionneurs fous, évitez le hara-kiri précipité : j'ai trouvé le volume correspondant pour 2014 dans les bacs d'occase de la convention 2015, à un prix ma foi encore raisonnable.
  2. Car les temps changent est finaliste du Rosny aîné cette année.
  3. Sans doute parce qu'il s'agit en fait du deuxième chapitre du roman la Fenêtre de Diane.

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