KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Stephen King : 22/11/63

(11/22/63, 2011)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Paygnard, 2014

par ailleurs :

Grâce à une étrange faille temporelle, Jake Epping, professeur d'anglais à Lisbon Falls dans le Maine, a l'opportunité exceptionnelle de visiter le passé, très exactement la journée du 9 septembre 1958. Convaincu par le découvreur de cette anomalie spatio-temporelle, Al Templeton, il s'embarque pour une aventure de longue haleine qui lui permettra peut-être de réécrire l'Histoire des États-Unis s'il parvient à empêcher l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy, à Dallas, le 22 novembre 1963.

Depuis toujours, Stephen King, dans ses nouvelles et ses romans, se plaît à revisiter les plus grands thèmes du Fantastique et de la Science-Fiction. Il donne ainsi sa vision du vampire dans Salem (Williams-Alta, 1977) ou de l'invasion extraterrestre dans les Tommyknockers (Albin Michel, 1989). Avec 22/11/63, le romancier s'intéresse cette fois au voyage temporel, un classique de la littérature de genre depuis la Machine à explorer le temps de H.G. Wells (1895).

Sans véritablement renouveler ce sujet abordé par maints auteurs de Science-Fiction, Stephen King y apporte bien évidemment sa touche personnelle. Cela commence tout naturellement par quelques clins d'œil à son univers. On peut ainsi croiser une Plymouth Fury rouge et blanche qui n'est pas sans rappeler l'héroïne mécanique de Christine (Albin Michel, 1984). Puis, au cours de son périple, Jake Epping visite la cité totalement fictive de Derry, lieu où se déroule l'action de bon nombre de récits du plus célèbre romancier du Maine. Là, il rencontre deux des jeunes membres du club des paumés de Ça (Albin Michel, 1988). Au fil des pages, il cite également le nom de ville de Haven qui, à la télévision, sert de décor à une série lointainement inspirée de son Colorado kid (J'ai lu, 2006), ainsi que celui du pénitencier de Shawshank, cadre principal de sa novella "Rita Hayworth et la rédemption de Shawshank" (publiée dans le recueil Différentes saisons, Albin Michel, 1986).

Au-delà de ces rencontres et de ces références très kinguesques, le romancier se plaît à évoquer une période pas si lointaine de l'Histoire, la fin des années 50 et le début des années 60, où la vie paraissait beaucoup plus douce et beaucoup plus tranquille. Il borde cependant cette aimable nostalgie par des réflexions avisées sur la place des minorités noires et sur l'extrême pauvreté de la classe ouvrière.

Comme à son habitude, Stephen King offre à lire un livre flirtant avec l'énorme — et fort heureusement, Albin Michel ne nous a pas refait le coup de Dôme, artificiellement découpé en deux tomes —, qui lui permet de prendre son temps pour recréer l'ambiance de cette Amérique de la fin des fifties. Les lecteurs peuvent ainsi s'immerger pleinement dans cette époque à la fois si proche et si lointaine, sans ordinateur, sans internet et sans téléphone portable. En plus d'une approche que l'on pourrait qualifier de sociologique de cette période, le romancier s'emploie comme toujours à rendre son personnage principal des plus attachant. Ainsi, malgré l'importance de sa mission, Jake Epping se trouve impliqué dans une histoire d'amour impossible avec une jeune femme qui, dans sa propre trame temporelle, pourrait être sa mère.

Pourtant, à la différence de bon nombre d'auteurs, Stephen King ne s'interroge pas sur le risque de paradoxe temporel ou sur l'immuabilité de l'Histoire. Il se contente de donner à son héros une porte d'entrée unique, le 9 septembre 1958, et d'observer, avec lui, les conséquences de ses actes. À chaque fois que Jake franchit ce seuil vers le passé, la moindre de ses décisions produit des effets palpables dans le présent. Cependant, le simple fait de repartir vers ce 9 septembre 1958 remet les compteurs à zéro et permet à Jake de réparer ses erreurs tant que l'anomalie spatio-temporelle persiste et qu'il est assez vigoureux pour ces cinq années de vie dans le passé. Néanmoins, le voyageur temporel se rend compte, et c'est l'un des leitmotivs de la seconde partie du roman, que l'Histoire a une propension naturelle à se répéter et à diverger vers le pire.

Notons que Stephen King n'est pas le premier à envoyer l'un de ses héros vers le passé à la date du 22 novembre 1963. Avant Jake Epping, c'est un certain Samuel Beckett qui a essayé, sans plus de succès, d'empêcher la mort de John Fitzgerald Kennedy. Personnage principal de la série télévisée Code Quantum, il était interprété par le comédien Scott Bakula et se retrouvait, le temps d'un épisode double (diffusé en France sur M6 en 1993), dans la peau de Lee Harvey Oswald jusqu'au jour fatidique.

Enfin, on peut remarquer que Nadine Gassie signe là sa troisième traduction d'une œuvre de Stephen King, après le roman Histoire de Lisey (Albin Michel, 2007) et le recueil Nuit noire, étoiles mortes (Albin Michel, 2012). Son adaptation française du monstrueux texte original du romancier du Maine se révèle efficace. Le seul minuscule reproche que l'on puisse faire concerne le choix d'utiliser les versions françaises des titres de films, séries télé ou livres cités par Jake, narrateur de ce roman, qui nuisent parfois à la nostalgie tout américaine de ce 22/11/63.

Toujours captivant, même et surtout lorsqu'il délaye son récit en plus de neuf cents pages, Stephen King sait plonger ses lecteurs dans des univers tout à la fois ordinaires et fascinants. Car, bien évidemment, le voyage dans le temps n'est ici qu'un prétexte permettant au romancier d'évoquer, avec son brio habituel, la nostalgie d'une époque révolue. Cependant, s'il est une morale à tirer de ce livre, c'est certainement que toute action, même si elle peut sembler insignifiante, peut avoir d'incommensurables conséquences, surtout quand on se pique de vouloir jouer avec l'Histoire.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 74, septembre 2014

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