KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Olivier Girard : Bifrost, nº 71, juillet 2013, spécial Michel Pagel

revue des mondes imaginaires

chronique par Pascal J. Thomas, 2014

par ailleurs :

Un dossier sur Michel Pagel : il était temps ! Quand on pense à la longueur, à la diversité et à la qualité de la carrière du bonhomme. Et pourtant, en lisant la longue entrevue qu'il accorde à Bifrost, on comprend aussi pourquoi Pagel reste en marge : parce qu'il a peut-être été publié trop tôt avec des livres inaboutis chez un éditeur à la direction littéraire inexistante ou erratique (Fleuve noir), parce qu'il préfère écrire du Fantastique quand on lui demande de la SF ou de la Fantasy, parce que, vivant de sa plume, il doit consacrer beaucoup de temps aux traductions, parce qu'il ne commet ni manifestes ni anthologies… Reste l'image d'un écrivain admirablement obstiné dans ses objectifs (la littérature populaire, dans ce qu'elle a de meilleur, les personnages humains, le Fantastique), modeste, ne reculant jamais devant le travail, documentaire en particulier. Comme souvent, le dossier de Bifrost donne une image complète de son sujet — sans qu'il y ait ici de recension exhaustive de ses œuvres — et je le retrouve dans ces pages aussi sympathique et intéressant que j'ai pu le connaître en personne, depuis ces jours fandomatiques maintenant enfouis dans un lointain passé.

Naturellement, nous avons droit à une nouvelle de Pagel, "Cosplay". De la SF, ce qui est devenu inhabituel pour lui ; qui rend quand même hommage à la fiction populaire, on s'y retrouve. Dans un monde futur très contrôlé, la vie des masses prolétaires est rythmée par les compétitions de héros : les individus assez ambitieux, et assez téméraires, adoptent le costume, le comportement, et peu à peu les caractéristiques corporelles, d'une “id”, tirée d'une des figures de la culture populaire. De Mickey à Barbie en passant par Zorro et Tintin… Des compétitions à tous les niveaux permettent aux vainqueurs (les meilleurs dans chacune des id qui ont à ce moment la faveur du public) de siéger dans des conseils de la circonscription concernée. Tout est truqué, vous vous en doutez bien, et l'intrigue relativement ordinaire — avec toutefois une conclusion inhabituelle. Bien trouvé, et prenant. On observera toutefois que les id choisies par Pagel trahissent son âge ; celles qui marcheraient aujourd'hui seraient bien différentes, issues de l'univers du jeu informatique au moins autant que de celui du récit (qu'il soit roman, BD, ou série TV). Sans parler du futur… dans lequel on peut, certes, postuler tous les retours, spin offs et revivals que l'on souhaite.

Deux autres nouvelles complètent la partie fiction du numéro. Thierry Di Rollo m'a agréablement surpris avec "le Choix du quêteur", une histoire qui commence dans l'espace pour évoluer, logiquement, vers les intelligences artificielles. Au cœur du récit, la question de la conscience d'un être artificiel inachevé, et du rapport émotionnel que l'on peut avoir avec elle. C'est finalement le même thème qui est au cœur de "l'Homme", la nouvelle de Paul McAuley. Son cadre est très inspiré de Stalker : des colons humains, implantés par des extraterrestres sur une lointaine planète, vivent misérablement en allant récolter les inexplicables artefacts laissés par d'autres ET, beaucoup plus mystérieux, ou fabriqués par leurs usines automatisées, toujours présentes. Quand une vieille femme tombe sur un homme muet, elle se rend vite compte que c'est une recréation artificielle d'humain, et pourtant elle y tient…

On notera qu'avec McAuley et Pagel, Bifrost publie des auteurs qui avaient fait l'objet de toutes les attentions du Galaxies de la bonne époque, il y a une dizaine d'années. Cela n'empêche pas Bifrost de rester fidèle à son style : longue et diverse rubriques livres (que j'apprécie beaucoup), rubriques de Pierre Stolze et Roland Lehoucq, éditoriaux toujours plus cassandresques d'Olivier Girard. Si vous n'aimez pas Bifrost, ce numéro ne vous fera pas changer d'avis, mais si vous aimez, allez-y sans crainte. En ce qui me concerne, Bifrost est un de ces rares canaux avec lesquels je garde un contact ténu avec le milieu SF français. C'est précieux pour moi.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 73, février 2014

Lire aussi dans KWS la chronique des numéros  1 ,  2 , 42, 45, 46, 51, 59, 66, 92 & 94 par Pascal J. Thomas

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