KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

L.L. Kloetzer : CLEER : une fantaisie corporate

roman par nouvelles, 2010

chronique par Éric Vial, 2011

par ailleurs :

L'objet, avec sa découpe (un mandala dans un demi-camembert) est une curiosité graphique. De quoi faire étrange et décalé sans faire SF. Ce qui est probablement le but du jeu. Et de fait, ce n'est pas de la SF. Ou presque. Parce que les références culturelles sont SF. Ne serait-ce que le programme d'un colloque où le groupe Limite, en concert, joue "Si ce monde vous déplaît…" et où des communications s'intitulent "l'usage des armes", "une forme de guerre", "le non-1", "le SLAN : un objectif structurel" ou, pour les genres circonvoisins, "le prestige". Ou parce que jusqu'à plus ample informé, aucun coin de Provence n'est couvert par une lavande blanche et phosphorescente. Pour d'autres éléments, je connais trop mal à la fois le monde de l'entreprise de pointe et celui des télécommunications informatisées non moins de pointe pour me prononcer, mais j'ai quelques doutes. Sérieux. Bref, on est sur le fil du rasoir du présent, un peu en avance sur celui-ci, mais dans les proportions qui auraient été acceptables dans un James Bond des glorieuses années 1960. Ou dans un feuilleton télévisé de la même époque. Ce qui place franchement dans la SF par rapport à une production nombrilesque et atemporelle.

Parler de feuilleton télévisé n'est cependant pas innocent. C'est la structure du livre : des épisodes concaténés. Deux héros, un homme et une femme. Chargés d'audits, ou quelque chose comme ça, dans un groupe protéiforme et imaginatif. D'interventions urgentes en cas de problème. Confrontés à tout ce qui ne va pas. À des suicides dans un super-système de vente assistée — et assistée par ordinateur. À des tensions, pour le moins, autour de la lavande transgénique plus haut citée. À quelque chose de bizarre en pleine forêt indochinoise. À des pépins dans une usine de bonbons utilisant des adjuvants discutables. Chaque épisode formant un tout. Une longue nouvelle à filmer. Avec, pour relier le tout, une métahistoire. Les deux personnages principaux. Leur hiérarchie, un peu étrange. Le service concurrent, pas vraiment sympathique ou vraiment pas sympathique. La structure même de l'entreprise, bien nébuleuse conformément aux règles de la modernité. Et puis toujours les deux personnages. Leurs relations. Ce qui aide à avancer. Ce qui accroche. Ce qui est efficace.

Bref, on marche, dans ce feuilleton au futur immédiat. Qui relève tout de même un peu de la SF. Qui affiche peut-être une ambition formelle exagérée (je parle de la maquette du livre). Qui joue peut-être un peu trop à égarer le lecteur (mais on aime être égaré : ça fait partie du pacte de lecture). Mais qui a les vertus correspondant aux reproches-mêmes qu'un esprit chafouin pourrait lui faire. Qui bénéficie de l'expérience d'écriture de son auteur, même (ou surtout) si c'est une expérience de feuilletoniste. Et qui pourrait bien, moyennant des trucages, être la base d'un bon feuilleton — qui ne sera jamais tourné, pour raisons de frilosité.

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 68, mars 2011

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