KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Stephen King : Juste avant le crépuscule

(Just after sunset, 2008)

nouvelles fantastiques

chronique par Philippe Paygnard, 2010

par ailleurs :

Juste avant le crépuscule marque un véritable retour aux sources pour Stephen King qui, abandonnant provisoirement les romans-fleuve qui constituent sa marque de fabrique, offre à lire une douzaine de nouvelles inédites dans ce recueil. Publié en 2008 aux États-Unis, ce livre est, comme l'explique King dans son introduction, la conséquence directe de sa participation, en tant que directeur littéraire invité, à l'édition 2007 de the Best American short stories d'Houghton Mifflin Harcourt. Après avoir lu des dizaines de nouvelles écrites par les maîtres du genre (T.C. Boyle, Richard Russo, Jim Shepard, William Gay et autres), Stephen King a retrouvé l'envie d'écrire des textes courts comme ceux qu'il signait dans ses jeunes années pour diverses revues. Ce sont ces nouvelles qui, d'une part, apportèrent un inestimable complément de revenus au jeune couple d'enseignants qu'étaient alors Stephen et Tabitha King, et qui, d'autre part, permirent l'éclosion du plus célèbre des Bestsellaurus Rex.

Douze des treize textes proposés dans Juste avant le crépuscule appartiennent ainsi à cette nouvelle génération de récits courts ; seul "un Chat d'enfer" date du siècle dernier. En effet, ce récit fut, à l'origine, publié dans les pages du magazine de charme Cavalier de juin 1977 (et en France, dans une traduction de Mélanie Fazi, dans le numéro 11-12 de la revue Ténèbres en 2000, et dans une autre de Philippe Rouard, dans l'anthologie Contes du chat pervers en 1999). Véritable hommage à Edgar Allan Poe, cette nouvelle met en scène un vieil homme qui engage un tueur à gages pour le débarrasser d'un chat noir maléfique et meurtrier. D'une certaine manière, elle constitue un point de repère permettant d'apprécier l'évolution du style de Stephen King.

Ce n'est pourtant pas "un Chat d'enfer" qui ouvre ce recueil, mais "Willa", la première nouvelle marquant la renaissance de Stephen King nouvelliste. Petite histoire de revenants plutôt sympathique, "Willa" n'est pas le texte le plus fort de ce livre, mais il permet d'apprécier les inestimables efforts de concision faits par King. Des efforts immédiatement suivis par un certain relâchement puisque la seconde nouvelle, intitulée "la Fille pain d'épice", court sur quelque soixante pages découpées en douze chapitres. Par sa construction, elle ressemble furieusement au synopsis d'un de ces romans-fleuve que Stephen King aurait pu écrire sans peine et on a l'impression qu'il fait de son mieux pour contenir l'impétueux flot de son écriture dans le cadre trop étroit de cette nouvelle.

Fort heureusement, après ce démarrage quelque peu laborieux, Juste avant le crépuscule prend son rythme de croisière pour atteindre le summum avec "N.". Cette longue nouvelle, pour partie épistolaire, entraîne le lecteur aux portes de la folie dans la droite ligne des nouvelles de H.P. Lovecraft ou du Grand dieu Pan, roman écrit en 1894 par le Britannique Arthur Machen, une filiation totalement assumée par Stephen King. La sombre ambiance et la qualité narrative de cette nouvelle ont séduit le scénariste de télévision et de bandes dessinées Marc Guggenheim. Inspiré par le texte de King, celui-ci, avec l'aide du dessinateur Alex Maleev, en livre ainsi une version graphique en quatre épisodes publiés (par Marvel Comics) en 2010.

Alternant ensuite le bon et le meilleur, entre le vibrant hommage aux victimes du 11 septembre 2001 de "Laissés pour compte", la fin du monde vue par le petit bout de la lorgnette de "Fête de diplôme" ou ce "New York Times à prix spécial" digne de la Twilight zone, Stephen King offre une variété de textes et de thèmes qui ne peuvent que séduire le lecteur fidèle comme le flâneur. Et lorsque le personnage d'une des nouvelles, "Aire de repos", n'est autre qu'un enseignant qui écrit sous pseudonyme, c'est avec une certaine jubilation qu'on suit cette variation sur le thème bien connu de l'auteur et son double que King a développé dans son roman la Part des ténèbres et, dans la vraie vie, avec son alter ego Richard Bachman.

Juste avant le crépuscule apparaît finalement comme un recueil de nouvelles intéressant par sa diversité et par sa variété. Même si je dois avouer préférer le King romancier, y compris lorsqu'il se laisse parfois aller à certains délayages ou à certaines facilités, la plupart des textes proposés ici valent le détour et permettent de découvrir, en un seul ouvrage, toutes les facettes du talent de conteur de ce romancier et nouvelliste incontournable qu'est Stephen King.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 67, décembre 2010

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