KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Charlotte Volper : 69

anthologie de Science-Fiction érotique, 2009

chronique par Pascal J. Thomas, 2010

par ailleurs :

“Anthologie SFQ”, proclame le dos de l'ouvrage. Et pas de SF québécoise, non monsieur, c'est bien de cul qu'on vous cause. Et de SF, donc ; après tout, un éditeur qui prend le nom d'ActuSF doit bien assumer ses choix — pour une fois, soupiré-je en vieux fan amer, qu'on ne nous fourgue pas du Fantastique-Fantasy-Imaginaire fusionnel ; pas que je n'aime pas tout ça, mais je ne goûte guère le grand fourre-tout. Euh, quoiqu'en l'occurrence…

On trouvera quand même du Fantastique dans ce recueil. Très classique (et très efficace) sous la plume de Jean-Marc Ligny ("Vestige de l'amour"), qui décrit bien la décadence d'un couple. Teinté d'horreur chez Charlotte Bousquet ("les Métamorphoses d'une martyre"). Relevant de l'insolite chez Gudule — l'avantage de l'humour, c'est qu'on fait court, et qu'on tire l'échelle avant que le lecteur ait le temps de se poser trop de questions. Gudule réussit le coup très bien avec "Sabbat".

On s'attendra à une certaine tension entre la SF, genre traditionnellement porté sur l'explication, l'illusion de la rationalité, et l'érotisme, tout en sensualité et pulsions. "Misvirginity", de Daylon, est à mon sens un échec par manque d'équilibre. L'immersion dans l'esthétique sexe-et-violence finit par dépouiller la nouvelle de tout relief. Maïa Mazaurette, dans "Saturnales", présente au contraire un futur où le sexe a été presque entièrement artificialisé, et l'obscénité réduite à une mécanique commerciale. Nous suivons donc une nuit de noces dans un hôtel de luxe en orbite dans les anneaux de Saturne, avec copieux catalogues d'options et de suppléments. La plongée dans ce monde est d'autant plus saisissante qu'il se contente de prolonger les tendances déjà présentes dans le nôtre ; dommage que l'intrigue de la nouvelle se conclue un peu en queue de poisson.

La plupart des auteurs résolvent le dilemme entre explication et pulsion en ne réservant qu'une partie de leur propos à l'érotisme stricto sensu. Dans "Eddy Merckx n'est jamais allé à Vérone", Stéphane Beauverger travaille les fantasmes parallèles de son personnage (sur les extraterrestres, sur la séduction) en contraste avec sa vie de couple épouvantable (son mari la bat). C'est beau, même si en fin de compte on ne sait pas si on est dans le subjectif (qui relèverait de la littérature blanche) ou dans l'objectif (qui nous renverrait à nos chers petits hommes verts). "Descente", de Virginie Bétruger, est le récit, longtemps après les faits, du retour sur Terre d'un astronaute pris au piège d'une station spatiale laissée à l'abandon par ses commanditaires ; le seul rôle de l'érotisme est d'alimenter les récits qui lui permettent de tenir le coup. Original, drôle et tragique à la fois. C'est de la triche, mais on ne se plaindra pas.

Mélanie Fazi met en scène dans "Miroir de porcelaine" une artiste qui se retrouve prise au piège de la perfection, et de l'inattendue séduction, des automates qu'elle crée pour son spectacle. Le jeu des flash-backs lui permet de combiner intensité émotionnelle et explications cohérentes ; un texte très fort, comme souvent avec Fazi. Le désir se fixe sur les machines, comme pour moquer la solitude qui envahit tout l'univers de la protagoniste.

Enjeu privé, l'érotisme se marie mal avec les vastes questions d'organisation sociale qui fournissent la matière d'une bonne partie de la Science-Fiction. Sauf à postuler un système totalitaire : qu'il soit séculier ou théocratique, il voudra contrôler ce plus puissant des leviers du comportement humain qu'est le désir sexuel. La découverte d'une sexualité libérée est un pas essentiel vers la révolte dans les dystopies classiques, que ce soit le Meilleur des mondes, 1984 ou un Bonheur insoutenable (pour ne citer que quelques exemples). Et la SF “politique” française des années 1970 suivait le même schéma (une anthologie de SF à thème sexuel, les Lolos de Vénus, qu'il serait instructif de relire, avait été publiée par Monique Battestini en 1978 dans la collection "Ici et maintenant" chez Kesselring). Il est symptomatique de l'évolution de la SF française que cet aspect des choses affleure dans bien peu de nouvelles (en creux peut-être dans celle de Daylon). Et pas si surprenant qu'on le retrouve dans le texte du seul auteur à figurer au sommaire des deux anthologies, Joëlle Wintrebert. "Camélions" réunit tous les éléments typiques de Wintrebert : la biologie, les sociétés bloquées, les rapports violents entre les sexes. Mais à une échelle réduite, puisque tout se joue dans une petite communauté d'Humains naufragés sur une planète vierge. Et la sensualité, quoique superbement illustrée dans le texte, se révèle moins importante que les questions de reproduction.

Concluons avec deux nouvelles qui jouent le jeu du sexe d'un bout à l'autre, ceux de Francis Berthelot et Sylvie Lainé. Le discours en est-il noyé par l'adrénaline ? Non, bien entendu. Chacun des deux auteurs se souvient que le désir est affaire de fantasmes, mais que les fantasmes se structurent sur des récits. Chez Berthelot ("LXIX"), les fantasmes se superposent à un récit préexistant, dans le cadre d'un système de cinéma interactif. Dommage (de mon point de vue) qu'un texte passionnant dans son mélange d'anticipation à court terme et d'érudition sur l'Empire romain se termine par une pirouette finale qui le bascule dans le Fantastique. Chez Lainé ("Toi que j'ai bue en quatre fois"), l'anticipation est un peu plus lointaine (mais qui sait ?), et comme chez Mazaurette, l'amour naturel n'a plus la cote (« Bien sûr, tu peux essayer de faire du vrai, et même du gratuit, si tu trouves une partenaire. Mais le vrai, malheureusement, on en a vite fait le tour. ») Donc, l'érotisme a été reconstitué à partir de ses bases chimiques, et le protagoniste essaie de bidouiller son propre mélange. Avec des résultats aussi surprenants que riches en interrogations sur ce qui peut fonder nos propres fantasmes, nos propres désirs… et la manière dont nous nous racontons des histoires, érotiques ou pas.

Bilan personnel de l'expérience : beaucoup de bons textes (mes préférés venant de Berthelot, Fazi, Lainé, et Wintrebert, par ordre alphabétique notez bien, ce qui tend à prouver que le métier a souvent le dernier mot, ou que les goûts personnels du critique ne changent pas vite avec les années, vous en jugerez) ; pas mal de vraie SF ; des approches très variées : une anthologie à recommander, dans le très haut du panier pour ce genre d'exercice.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 65-66, juillet 2010

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