KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Sylvie Denis : Pèlerinage

nouvelles de Science-Fiction, 2009

chronique par Pascal J. Thomas, 2010

par ailleurs :

Il est bon d'avoir un éditeur qui se concentre sur les recueils de nouvelles, et nous propose sous une forme disponible et esthétique ce que la SF a souvent de meilleur : des textes courts ou de longueur moyenne qui, autrement, languiraient entre les couvertures de revues de niveau inégal.

On se prend parfois à fantasmer en roman le texte le plus long, "Pèlerinage", celui qui donne donc son titre au recueil. Les événements qui s'y déroulent ont certainement assez de ramifications et de complexité. Sur une planète étrangère, les enfants sont frappés par une épidémie nouvelle. Seul espoir pour Tommy Marshall, l'échappatoire invraisemblable que propose son ami autochtone, descendant d'une lignée de prêtres de l'espèce locale, aux secrets non encore élucidés… On croirait un récit d'aventures comme le space opera nous en a donnés tant, un pastiche de roman pour la jeunesse comme Sylvie Denis les réussit si bien. Mais j'en passe la moitié sous silence : les changements dans la vie de la mère de Tommy, l'arrière-plan politique compliqué des L'mul, les flèches décochées contre le colonialisme. Le tout emballé d'apparente simplicité. On ne peut plus lâcher les pages.

Tout n'est pas du même tonneau. "Adrénochrome", qui ouvre le recueil, est singulièrement daté (publié en 1991). Des lutins venus d'une autre dimension s'invitent dans notre monde quand la musique les appelle. Je caricature, mais je reste près du texte : il fut un temps (1975 ?) où ce genre d'intrigue passait la rampe, mais je crois que même Roland C. Wagner n'oserait plus. Musical aussi, "le Zombie du frère" (publié en 2004) est plus intéressant, avec sa vision de l'intérieur du music business, et le dilemme d'un chanteur que tant de machines assistent qu'il ne voit plus l'intérêt d'exercer son art.

Si "le Ventre de la mer" est un texte d'Horreur — fantastique par raccroc —, il vaut par le malaise qu'il instille, au gré de sa description d'une famille fêlée. On n'en sort pas indemne. Présenté dans l'ambiance savoureuse d'un salon de thé de station balnéaire hors saison, fréquenté par des retraités maniaques, "la Dame du Wisconsin" est une merveille d'ambiguïté : la protagoniste est-elle affabulatrice, ou victime d'un réel complot ? Il frôle aussi un thème social de plus en plus présent, le grand âge et les maladies neurologiques qui viennent avec (et pourtant, la nouvelle date de 1999). Peu abordé par la SF (en dehors de Rainbows End de Vernor Vinge).

On avait remarqué Sylvie Denis en observatrice de l'enfance, vue à l'occasion par le prisme du pastiche de la littérature enfantine. Subjectivité du critique ? "Adrénochrome" mis à part, à chaque détour de ce recueil, je rencontre des références aux relations familiales, pesantes (voire mortelles) dans "le Zombie du frère" et "le Ventre de la mer" (dont les titres annoncent bien la couleur), ambiguës, factices peut-être, dans "la Dame du Wisconsin", recomposées et salvatrices dans "Pèlerinage". Et plus elles sont présentes, plus je trouve les textes charnus et satisfaisants ; souffrance et émotion se faisant ici corollaires de la filiation. C'est aussi notable qu'admirable en SF.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 65-66, juillet 2010

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