KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Clive Barker : Jakabok : le démon de Gutenberg

(Mister B. Gone, 2007)

roman fantastique

chronique par Éric Vial, 2010

par ailleurs :

C'est de l'Horreur, nous dit-on. Et bénéficiant d'une forte promotion, au point d'être envoyé en service de presse à un critique à la retraite ne disposant plus guère que de KWS pour en parler, avec certes le relais du site internet de Quarante-Deux, donc d'une pérennité informatique enviable, mais avec trop de mois de retard pour que n'importe quel comptable n'en torde pas le nez après avoir conclu au gaspillage de timbres. Il est dont prévu qu'il en soit beaucoup causé. Et cela laisse le critique à la retraite quelque peu songeur.

Parce qu'en apparence, cela se veut sérieux. La couverture ne semble pas relever d'un deuxième degré ou plus si affinités : démon à contre-jour ou plutôt à contre-flammes, double queue bien attestée dans le texte, air sournois autant qu'on puisse en juger et si l'on ne projette pas ainsi la lecture… Le paratexte est en partie à l'avenant : référence à l'auteur comme « un des géants de la littérature d'Horreur » et renvoi au cinéma, choses normales à propos de Barker. Quant au titre et à Gutenberg, le second par ailleurs judicieusement absent du premier en V.O., où la référence à une maison d'édition (Jaka Books) et le jeu de mots qu'elle implique peuvent passer inaperçus, ils peuvent tout à fait “faire sérieux”. Quelque chose d'autre montre le bout d'une oreille (forcément pointue) avec la présentation du livre proprement dit. C'est-à-dire avec l'exportation manifeste de notre Terre dans les enfers, avec un schéma solidement adolescent, et des plus classiques. Exportation que l'on retrouve bel et bien dans le roman, qui fait des démons des humains assez peu différents des autres, jusque et y compris face à la mort, malgré une longévité en principe fort enviable. Mais ce schéma pourrait laisser place à un traitement réellement horrifique. L'oreille apparaît davantage quand il est question d'une « place à part dans l'œuvre de Clive Barker », moyen d'annuler la présentation générale de l'auteur, d'une « infernale comédie », ce qui va dans le même sens mais ne dit pas grand-chose même si elle est qualifiée de « littéraire en diable », et d'un texte dont l'auteur « s'y est fait avant tout plaisir », ce qui n'implique pas qu'il ait cherché à faire plaisir — ou peur, mais ne serait-ce pas ici plus ou moins la même chose — au lecteur.

De fait, après une exhortation à brûler le livre, fil rouge présent jusqu'aux dernières pages mais largement sous-utilisé, on a un récit certes abominable mais avant tout goguenard, et très distancié, où des démons “affreux, sales et méchants” font leur boulot dans un enfer-bidonville et se comportent en salauds ordinaires, violences conjugales incluses, et où un adolescent complexé entre autres par sa petite taille (la vie politique française actuelle montre hélas les conséquences désastreuses de ce type de complexe), et victime d'un père sadique, écrit maniaquement tout ce qu'il pourrait faire pour se venger, se fait tabasser, défigurer, fuit, puis est pris au piège, emmené dans un filet vers les étages supérieurs en même temps que son père, se débarrasse de ce dernier au passage, fuit de nouveau, à affaire à quelques humains convenablement inhumains, rencontre un autre démon avec lequel il vadrouille un bon siècle et tisse des liens amoureux (mais platoniques : les limites de la transgression arrivent vite), lesquels se brisent sur une très banale dispute. On est à plus de la moitié du livre, on n'a pas encore vu Gutenberg, on ne s'est pas vraiment ennuyé dans un récit picaresque qui semble commis au fil de la plume ou du clavier (à noter que si les claviers ont en général un fil, c'est plus rare dans le cas des plumes), et on ne sait pas trop où on va. Pour la peur, on repassera, faute sans doute de pouvoir réellement se projeter sur les victimes humaines, faute peut-être aussi d'un minimum de réalisme dans ce qui semble avant tout un cartoon. Et quand on en arrive à ce qui est supposé être le nœud de l'affaire, avec quelques révélations de roman-feuilleton du xixe siècle, le grand affrontement entre le bien et le mal relève du Yalta culturel (culturel façon TF1, s'entend) et de la discussion de marchands de tapis, ce qui est assez réjouissant, mais renvoie une fois de plus au côté cartoonesque de l'affaire.

Au total, ce serait mentir que de prétendre que l'on s'est ennuyé. Mais pour ce que semble annoncer la couverture, avers comme revers, on repassera. On peut d'ailleurs à bon droit ne pas s'en plaindre, si l'on n'est pas un fanatique de l'Horreur traditionnelle, par ailleurs rudement concurrencée par la réalité du monde. On pourrait même s'en réjouir, par goût du canular, de la satire, du grotesque, de l'humour à tous les degrés. Circuler entre roman picaresque et bande dessinée gotlibienne n'est certes pas l'itinéraire le plus désagréable. Mais peut-être alors aura-t-on un goût de trop peu, comme si l'auteur avait reculé devant le franc pastiche, et s'était bridé, oscillant aux franges du sérieux. Dommage.

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 65-66, juillet 2010

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