KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Gianni Cantù : les Mystères des pyramides

(i Misteri delle piramidi, années 1970)

essai

chronique par Éric Vial, 2009

par ailleurs :

D'une part, il m'arrive de recevoir des livres pour en rendre compte pour une revue d'Histoire grand public, devenue au fil des années de grande qualité, et cette revue entend ne parler que de bons ouvrages. D'autre part, s'il y a une capacité supranormale de la forme pyramidale, c'est bien d'attirer les barjots. Enfin, il faut bien se passer les nerfs. D'où le présent papier. Justifié aussi par l'usage inconsidéré que l'auteur fait d'une partie de l'attirail de la SF.

Ça commence déjà mal, à vrai dire. Par le sous-titre : les prophéties, les secrets des bâtisseurs, les révélations du Sphinx, la mystique des nombres, le destin tragique des explorateurs. Par des considérations sur le fait que le 17 porte malheur, ce qui étonnera en France mais pas en Italie. Et par le fait que « si le 17 tombe un vendredi, alors c'est la malédiction de Toutankhamon qui s'abat sur l'Humanité » : il n'est sans doute pas besoin de déranger l'épouse de notre vénéré rédacteurenchef, illustre statisticienne, pour se dire que le 17 du mois doit tomber un vendredi une fois sur sept, soit près de deux fois par an, ni de mobiliser une érudition phénoménale en matière de superstitions pour considérer que les malédictions pharaoniques sont réputées concerner ceux qui pénètrent dans les tombes plutôt que l'ensemble de l'Humanité. On n'est alors qu'à la deuxième page de la préface, dont l'auteur n'est certes pas responsable mais qui n'en est pas moins infligée au lecteur. La suite, due cette fois à l'auteur, est à peu près de la même eau : j'ai beaucoup aimé en particulier une phrase comme « Nul d'entre nous ne fronce les sourcils lorsqu'il assiste à des expériences de perception extrasensorielle ou quand il est témoin des phénomènes parapsychologiques les plus déconcertants. », qui implique la réalité (et la fréquence) desdites expériences et desdits phénomènes, et qui est suivie de cette autre phrase, tout aussi intéressante : « Et pourtant, la majorité de ceux qui voient couler de vraies larmes des yeux d'une statue de marbre ou de bois ou de ceux d'un personnage peint sur une toile affirment ne pas croire à la réalité de ces manifestations. » : l'invocation hasardeuse de la métaphysique là où il n'y a aucune réflexion métaphysique, éthique ou théologique, peut exaspérer, tout comme la mise en avant de la partie la plus folklorique, la plus superstitieuse, pour tout dire la plus rétrograde de la religiosité transalpine donnée pour un absolu évident. Aux appels oiseux à la transcendance, s'ajoutent des considérations sans intérêt sur la graphie du nom de Toutankhamon (on ferait les mêmes, avec les mêmes conséquences métaphysiques vertigineuses, sur l'Arabie saoudite ou séoudite), d'autres considérations incluant dans la malédiction du pharaon deux bambins écrasés par le corbillard d'une des “victimes”, ainsi que de vastes calculs et des coïncidences stupéfiantes (ou dues à des stupéfiants ?) quant à la localisation de la pyramide, avec des esbaudissements sur le fait qu'étant au sommet du delta du Nil elle se trouve sur un méridien qui « selon de nombreux observateurs, sépare mieux les deux hémisphères (oriental et occidental) que le méridien de Greenwich » — dont ce n'est pas la fonction et qui pour mémoire sépare Caen, Angers, Bordeaux et Pau (occident) de Deauville, Le Mans, Marmande et Tarbes (orient). Après un résumé d'histoire de l'exploration des pyramides, un peu court mais pour la critique détaillée duquel KWS n'est pas le meilleur support ni votre serviteur l'analyste le plus compétent, on ajoutera aux alentours de la page 150 une série de considérations croquignolettes sur les vaisseaux spatiaux dans l'Antiquité : c'est la partie de l'attirail de la SF évoquée plus haut. Entre autres gags, nous est expliquée l'hypothèse d'un scientifique (?) soviétique selon lequel Sodome et Gomorrhe furent anéanties par la destruction des carburants atomiques (?) que des extraterrestres ne voulaient pas laisser derrière eux en repartant… avec des considérations sur le fait qu'il s'agit d'un « génocide » (!) tout comme le serait le bombardement d'Hiroshima et de Nagasaki, dont « les historiens (⁇) considèrent qu'il fut inutile car le Japon qui avait déjà un genou à terre aurait, de toute façon, déposé les armes quelques semaines plus tard », avec cette intéressante précision en forme de regret n'engageant que l'auteur : « il n'est pas encore possible de placer sur le même plan qu'Hitler celui ou ceux à qui la responsabilité de ce carnage atomique doit être imputée » dans un paragraphe d'où sourd la rancœur envers les vainqueurs de 1945 (le fait de diluer la notion de génocide dans tout massacre massif est également intéressant du point de vue idéologique, même si ladite notion est bien entendu plus large que la seule Shoah). Par ailleurs, l'affaire du carburant atomique détruisant Sodome et Gomorrhe (?) n'empêche par un propos moralisateur contre « certains [qui] s'efforcent de justifier et de rendre licites les meurs dépravées en honneur dans ces deux cités ». Le festival continue avec l'Atlantide, les cartes de Piri Reis, ou « Jésus-Christ dont on ignore l'activité pendant son adolescence » et qui « aurait reçu l'enseignement des grands prêtres des pharaons qui lui auraient révélé le “suprême savoir” ». Plus des rétro-prophéties. En ce qui concerne ces dernières, il faut préciser que de plus l'ouvrage date des années 1970, et même si la chose à laquelle on a affaire se veut une « nouvelle édition revue et complétée », la révision a sans doute été un peu lacunaire : l'auteur affirme que la Pyramide révèle l'histoire du monde, à de minimes erreurs près, comme celle qui fait commencer la Première Guerre mondiale en 1913 ; il explique que 1953, « année de crise pour l'ensemble des valeurs morales » (?), est à la fois la fin d'une « ère de corruption » et le début de « l'abîme dans lequel toutes les valeurs doivent sombrer », d'où une « épreuve imposée à l'Humanité [qui] doit s'achever en 2001 ». Le regretté Edgar Faure disait qu'il est difficile de faire des prédictions, surtout en ce qui concerne l'avenir, et ce livre le confirme une fois de plus ; par ailleurs, le choix de 1953 peut rendre perplexe (on apprend des pages plus loin qu'il s'agit de la fin de la guerre de Corée…). Par-delà des considérations sur Moïse comme fils et frère de pharaons, la naissance du Christ quatre ans avant la date “officielle”, l'étoile de Bethléem et les mages, etc., on retrouve nos prophéties, l'année 2001 comme terminus des prédictions — le 17 septembre, pas loin de ce que l'on sait, mais pour le début d'une « nouvelle forme de vie » (?) selon des « chercheurs particulièrement soucieux de précision » (!) —, ceci après « une période de quatre-vingts années allant de 1913 à 1993 caractérisées par de grandes difficultés, le chaos et la mort » (pourquoi 1993 ?), et au cours de laquelle « l'époque la plus troublée commence en 1971 », ce qui nous apprend avec intérêt que les années 1970 ou 1980 furent pires que les guerres mondiales, une note invitant à noter « que les actes de terrorisme et, en particulier, la piraterie aérienne se sont multipliés depuis 1971 ». On s'intéressera aussi, dans le cadre de ces rétro-prophéties, à des commentaires recopiés avec une remarquable impavidité par l'auteur, sur « le peuple d'Israël, essentiellement préoccupé d'améliorer sa propre condition matérielle », ou « l'agitation qui ne cessa de se développer à partir de [1844] dans le peuple juif exilé aux quatre coins du monde est la cause principale de la crise aiguë dont l'aboutissement fut la Première Guerre mondiale », ou encore « un lien direct entre le bolchevisme, le communisme, le matérialisme historique, les intrigues politiques de tous genres et la présence d'éléments d'origine juive dans tous ces phénomènes ». Par comparaison, sont bien peu de choses des délires sur la comparaison de l'échelle thermométrique égyptienne et des échelles actuelles, sur le fait que le voyage de Colomb aurait confirmé la rotondité de la Terre ou qu'au milieu du xixe siècle les États européens évoluent « dans le sens d'une plus grande concentration des pouvoirs politiques », sur une course aux armements spécifiques entre mai 1929 et septembre 1936 (l'examen des budgets français ne va pas précisément en ce sens), etc. Sur un autre plan, Caïn est supposé « s'enfuir du Paradis » après avoir tué Abel, d'où un problème quand on prétend présenter la chronologie biblique. L'auteur dit au bout du compte que tout cela peut être « de la Science-Fiction » (⁇), mais cela ne saurait le dédouaner du recopiage de calembredaines ou d'obscénités. Ni du fait que tout finit en queue de poisson…

Bref, du n'importe quoi convoquant et méprisant la SF, se cachant derrière autrui pour rapporter des stupidités, oscillant entre une lecture littéraliste (et fautive, on l'a vu pour Caïn) de la Bible et un folklore superstitieux, affirmant au hasard des contre-vérités facilement vérifiables en matière d'Histoire, et laissant soupçonner une culture politique mêlant rancunes envers les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (anglo-saxons protestants au premier rang), spiritualisme de bazar et vague antisémitisme… De quoi sortir les flingues, la masse d'armes, le canon de 75, ou bêtement de quoi commettre le présent compte rendu, car, comme dit plus haut, il faut bien se passer les nerfs.

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 64, novembre 2009

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