KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Sylvie Lainé : Marouflages

nouvelles de Science-Fiction, 2009

chronique par Pascal J. Thomas, 2009

par ailleurs :

Si le Miroir aux éperluettes [ 1 ] [ 2 ] et Espaces insécables, les opus précédents de l'auteur chez ActuSF, le même éditeur, pouvaient être rangés respectivement sous les thématiques “rencontres” et “séparations”, celui-ci, plus concentré (trois récits), est plutôt à ranger au rayon “passe-moi le katana, j'ai besoin de me rejouer Kill Bill” (toute révérence gardée pour Thomas Day).

On me pardonnera d'être plus bavard que Georges Bormand. Trois récits, donc, un inédit, un difficile à trouver, et un primé et célèbre, qui constitue la pièce de résistance du recueil — tant en taille qu'en substance. On se serait attendu à le trouver en conclusion ; mais l'ordre du livre est l'inverse de celui de mon énoncé. Tiens, en parlant d'inversions, comme toujours, ne lisez la préface qu'après avoir lu le livre : Joëlle Wintrebert dit trop de choses exactes. Lisez plutôt d'abord les textes, puis la préface, puis replongez dans les textes, armés d'éclairages nouveaux…

"Fidèle à ton pas balancé", donc, paraît ici pour la première fois et repose sur une idée déjà classique en Science-Fiction : on a maîtrisé la technique de l'enregistrement des sensations, et les clips ainsi obtenus peuvent être vécus par ceux qui les achètent, comme des rêves particulièrement prenants. Un homme abandonné par sa compagne, et inconsolable, essaie de la retrouver au travers de ses clips… avec des effets inattendus. De quoi se reposer la vieille question : l'amour se nourrit-il de ressemblances ou de complémentarités ? — et de se redemander si cette question a seulement un sens.

Le texte prend un virage vers l'humour (on peut aussi enregistrer les impressions des mammifères) avant de se diriger vers une fin surprenante, qui introduit une nouvelle idée sans boucler aucune boucle. Déconcertant. Il y a trop d'idées dans ce texte ; on aurait mauvaise grâce à s'en plaindre.

"Le Prix du billet", publié dans le Calendrier de l'Avent de la Ville de Reims en 2007 — vous saviez que ça existait, vous ? Alors lisez la préface —, n'a rien de SF ou de Fantastique, ou si peu, même si le changement radical de vie qu'envisage sa protagoniste compte au nombre des ingrédients utilisés de longue date par les auteurs de SF ou de Fantastique dans leur narration pour introduire l'extraordinaire dans un monde jusque-là banal. Court, percutant, nous nous laissons mener par le bout du nez d'un bout à l'autre. Et ce qui n'est pas dit, par magie, semble aussi réel pour nous que ce qui est dit.

Reste "les Yeux d'Elsa", sur lequel on a peut-être tout dit. Primé, re-primé, et responsable de 53 sur les 106 pages de ce recueil. Charlie et Josh font un sale boulot : ils ramassent des dauphins blessés et les soignent — rien de mal jusque-là —, puis leur font signer un contrat qui, à leur insu, en fera des esclaves dans des chantiers navals, tenus par les drogues qu'ils ont commencé à recevoir lors des soins. Et comme il y a des objectifs chiffrés à remplir, si on manque de dauphins blessés… Mais voilà que Charlie tombe amoureux d'Elsa, une dauphine qu'il a “recrutée”. Et qu'Elsa se révèle moins docile qu'il ne le croyait. Le plus fort dans ce texte, à mon sens, est qu'il est raconté entièrement du point de vue de Charlie, dont nous nous rendons progressivement compte qu'il se raconte des histoires pour essayer de justifier à ses propres yeux un comportement moralement injustifiable. Répugnant, ou tragique, à vous de choisir. Mais déstabilisant, et stimulant : il reste au lecteur à reconstruire toute une couche émotionnelle de l'histoire. À cent lieues, évidemment, de la vengeance, et de la présentation sarcastique que je donnais du recueil quelques lignes plus haut. Eh oui, même les critiques ne disent pas toujours la vérité.

Je sais que vous avez tous, bien rangé dans votre collection, le numéro 37 de Galaxies avec "les Yeux d'Elsa", et que vous êtes en train de tâter timidement votre portefeuille. Alors dites-vous que la couverture de Gilles Francescano vaut le voyage, et que les deux autres recueils de Lainé chez ActuSF qui trônent déjà sur vos étagères ont besoin de compagnie. Et vous ne vous tromperez pas.

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