KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Stephen King : Duma Key

(Duma Key, 2008)

roman fantastique

chronique par Philippe Paygnard, 2009

par ailleurs :

Patron d'une entreprise de travaux publics du Minnesota, marié à Pam, une épouse aimante, depuis plus de vingt-cinq ans et père de Melinda et Ilse, deux splendides jeunes femmes, Edgar Freemantle avait une vie parfaite, jusqu'au jour où son pick-up rencontra brutalement une grue de chantier. Échappant de peu à la mort, il perdit son bras droit et se retrouva avec une hanche en miettes. Mais ces blessures n'étaient rien à côté de la fracture du crâne qui le rendit partiellement amnésique et franchement irascible, colérique jusqu'à la violence physique. Ce changement de caractère brisa rapidement les derniers liens qui l'unissaient à sa vie passée. Afin de se reconstruire physiquement et moralement, Edgar accepta, sur les conseils de ses thérapeutes, de s'exiler en un lieu paradisiaque, la Floride. Plus précisément, à Duma Key !

Cette fois, Stephen King ne nous invite pas dans ce Maine, pour partie réel et pour partie imaginaire, qui sert de décor à bon nombre de ses œuvres. Avec Duma Key, il nous entraîne, à la suite d'Edgar Freemantle, dans une Floride qui oscille entre rêve et cauchemar. Car, même si l'État ensoleillé n'appartient pas à la géographie traditionnelle du romancier, cela ne veut nullement dire que nous sommes en terre inconnue. En effet, Duma Key appartient à la même famille que plusieurs autres romans de Stephen King parmi lesquels Sac d'os (1998)(1) et, plus récemment, l'Histoire de Lisey (2007). Dans ces œuvres, Stephen King nous fait découvrir un personnage normal, presque banal, dont la vie est à jamais bouleversée par un drame. Dans Sac d'os, comme dans l'Histoire de Lisey, l'élément dramatique est la disparition d'un proche. Pour Duma Key, c'est un accident qui est le fait déclencheur. Ces événements tragiques, mais somme toute ordinaires, ne sont que le prélude d'une plongée plus ou moins profonde et plus ou moins contrôlée dans un monde teinté de fantastique et de fabuleux, qu'il s'agisse de fantôme et de vengeance comme dans Sac d'os ou d'une porte ouverte sur une autre dimension comme dans l'Histoire de Lisey.

À l'image de leur géniteur littéraire, bon nombre des personnages principaux des romans de Stephen King sont des écrivains. C'est bien évidemment le cas de Mike Noonan, le héros de Sac d'os, et de Scott Landon, le défunt époux de Lisey. Edgar Freemantle échappe à ce stéréotype puisqu'il est entrepreneur de travaux publics ; cependant, son séjour à Duma Key lui permet d'acquérir d'incroyables talents artistiques, qui ne sont certes pas ceux d'un romancier, mais ceux d'un peintre. Ce qui finalement n'a rien de surprenant puisque peinture et fantastique font plutôt bon ménage depuis qu'un certain Oscar Wilde imagina qu'un tableau pouvait préserver la jeunesse éternelle d'un homme, dans son roman le Portrait de Dorian Gray en 1890, ou qu'un certain Howard Phillips Lovecraft horrifia ses lecteurs avec sa nouvelle "le Modèle de Pickman", parue dans les pages de Weird tales en 1927. Par ailleurs, un tableau jouait déjà un rôle essentiel dans un précédent roman de Stephen King, Rose Madder (2001), et c'est un peintre, Peter Rickman, qui, accidenté et plongé dans le coma, est un des personnages centraux de Kingdom Hospital, la minisérie adaptée, en 2004, par King et le réalisateur Craig R. Baxley (la Tempête du siècle en 1999 et Rose red en 2002), de l'œuvre télévisuelle de Lars Von Trier (l'Hôpital et ses fantômes en 1994).

En outre, ce roman constitue à l'évidence un véritable exutoire où Stephen King réécrit une fois encore l'histoire de l'accident qui l'a physiquement marqué et traumatisé à jamais. Survenu en 1999, ce grave accident de la circulation inspire déjà largement le roman Roadmaster (2003)(2), écrit pendant sa convalescence. À travers l'aventure d'Edgar Freemantle, King donne une nouvelle version de cet accident, qu'il a également mis en scène dans le premier épisode de Kingdom Hospital. Puisant au plus profond de lui-même, il donne ainsi un vécu et un réalisme à ce personnage qui, même s'il n'est pas écrivain, se révèle être le plus parfait des doubles littéraires de King. L'écriture et la réécriture de cet événement tragique constituent très certainement, pour Stephen King, une thérapie et c'est aussi le moyen de créer un texte qui prend aux tripes dès sa première lecture. En écrivant Duma Key, King se soigne et soigne ses lecteurs avec un récit fort et prenant.

D'autres influences sont également sensibles dans Duma Key. Ainsi, lorsque la force maléfique qui donne son inspiration à Edgar Freemantle se révèle enfin, elle fait irrésistiblement penser à un mélange de génie maléfique coincé dans une bouteille, de mortelle sirène attirant le marin innocent et de fantôme meurtrier façon Fog de John Carpenter, avec au surplus un nom tout droit emprunté à la mythologie grecque. Cet étrange mélange constitue d'ailleurs l'un des rares points faibles du dernier roman de Stephen King, avec l'espèce de happy end un peu convenu qui le conclut. Cependant, Duma Key reste unique par la maîtrise qu'a le romancier dans la création de personnages aussi complexes qu'Edgar Freemantle bien évidemment, mais aussi de sa famille, de sa richissime voisine Elizabeth Eastlake, atteinte par la maladie d'Alzheimer, et surtout de Jerome Wireman, ancien avocat et très étrange garde-malade.

Au final, Duma Key se révèle être un excellent King pendant les deux premiers tiers de la lecture, puis le roman, malgré ses plus de 600 pages, perd un peu de sa consistance dans un dernier tiers qui n'est sauvé que par l'attachement que peut avoir le lecteur pour Edgar Freemantle et ses compagnons de route. Duma Key n'est donc pas le nouveau chef-d'œuvre du romancier du Maine, mais c'est un livre prenant et émouvant qui se laisse dévorer sans remords, ni regret.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 64, novembre 2009


  1. Par ailleurs, une adaptation cinématographique de Sac d'os est en cours de développement sous la houlette de Mick Garris à qui on doit déjà la version télévisuelle du Fléau (1994).
  2. Roadmaster fait également l'objet d'un projet d'adaptation pour le grand écran sous la direction de Tobe Hooper qui réalisa la première version télévisuelle des Vampires de Salem (1974).

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