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Keep Watching the Skies! nº 60, juillet 2008

Jean-Claude Dunyach : Séparations (Nouvelles – 6)

nouvelles de Science-Fiction et de Fantasy

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chronique par Pascal J. Thomas

Depuis 2003, les recueils de l'intégrale-en-court-d'éternelle-transformation des nouvelles de Jean-Claude Dunyach nous arrivent au compte-gouttes, un tout les deux ans, abritant dans ses 27 pages entre une demi-douzaine et une dizaine de textes de longueur courte à moyenne. Ils offrent toujours un cocktail similaire : quelques inédits, quelques raretés (issues de pages de fanzines des années 1980, de programmes de conventions, d'anthologies plus ou moins bien diffusées au départ…), et quelques textes justement célèbres depuis leur parution en revue ou dans le premier recueil de l'auteur, Autoportrait (1986). Fait remarquable, la nouvelle qui donne son titre au recueil a été choisie pour ouvrir l'anthologie The SFWA European Hall of Fame1.

En un sens, le volume présente bien une série de séparations. Celles de la nouvelle du titre, où les divergences d'univers jouent un tour particulièrement cruel aux protagonistes. Celle entre la réalité et le cauchemar d'une guerre permanente d'une guerre artificielle dans "Libellules". Celle entre enfants et leurs parents, condamnés à l'exil dès que leurs forces déclinent, dans "la Ronde de nuit". Paru en 1983 dans les modestes pages de Vopaliec, ce texte est pour moi la révélation du recueil : on y découvre un Dunyach s'essayant à la S.-F. politique, beaucoup moins esthète qu'il ne l'est devenu. Mais capable de monter une société pervertie comme on monterait une montre suisse. Quatre jeunes gens se promènent le soir, l'un d'entre eux est arrêté. On n'est pas sûr qu'il revienne. Mais chacun poursuit sa vie avec dureté soigneusement pratiquée…

Il y a plus d'amour, de douleur et de beauté dans les textes typiques de Dunyach. Et, évidemment, dans ceux du présent recueil.

On sait que je goûte moins la Fantasy que la S.-F. Ce n'est donc pas un reproche bien grand que je fais à "la Chevelure du saule" et "une Place pour chaque chose" quand je dis que j'y ai pris moins de plaisir. Le premier, parce qu'il ne développe guère son intrigue. Le deuxième est le seul inédit du volume, et comme beaucoup d'inédits de Dunyach, se moque abondamment de l'univers de l'entreprise, ses codes et sa langue de bois. Cela dit, est-ce bien nécessaire d'ajouter une ligne à l'interminable liste des reproches adressés aux départements des “ressources humaines” ? Et l'histoire racontée a-t-elle un dénouement surprenant à nous offrir ? Non, et non. On se contentera de la verve du conteur, jamais prise en défaut.

Restent trois textes majeurs — et qui valent bien l'achat du volume. "Séparations", on l'a déjà dit. "Autoportrait", qu'on retrouve ici dépouillé de son rôle de texte-titre, mais qui reste un porte-drapeau de la manière Dunyach, qui n'a guère changé au cours des années. Un constant souci du beau, du mot comme de l'image. La fascination corrélative pour musées et expositions. Et, en l'espèce, une séparation de plus, celle entre le narrateur et Dorian. Ce ne sont pas des thèmes omniprésents dans l'œuvre de l'auteur que le narcissisme et l'homosexualité (suggérée — on notera l'absence quasi-totale de mots indiquant le genre du narrateur, comme des adjectifs, dans cette nouvelle narrée à la première personne). Et ils supportent très bien le traitement, même si aujourd'hui je remarque la proximité esthétique avec le Brussolo de l'époque (le mélange de l'organique et de l'inorganique, la perte au sein d'un labyrinthe qui pourrait bien digérer les personnages…), et je trouve un peu trop évidente la référence à Oscar Wilde (que je n'avais pas du tout perçue lors de ma première lecture il y a vingt ans, soyons honnêtes).

"Trajectoire de chair", enfin, est une histoire de vraie, de dure S.-F. — et là encore, sur une séparation, entre l'humanité de chair, et ses descendants, les intelligences artificielles. Qui nous montre que Jean-Claude Dunyach, quand il veut, peut aussi produire brillamment ce genre d'histoires (mais on le savait déjà : voir par exemple "la Stratégie du requin").

Rien à signaler, en quelque sorte : l'Atalante n'ayant pas été arraisonnée, l'édition déraisonnée des nouvelles de Dunyach continue, pour notre plus grand (et parfois chaotique) plaisir.

 lire par ailleurs dans KWS [1] [2] [3]

Notes

  1. Tor, 2007, présentée par James & Kathryn Morrow.