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Keep Watching the Skies! nº 60, juillet 2008

Sylvie Lainé : le Miroir aux éperluettes

nouvelles de Science-Fiction

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chronique par Pascal J. Thomas

Hosannah, enfin un recueil de Sylvie Lainé ! À ajouter à tous ces auteurs qui ont tenu le flambeau de la S.-F. française dans ses années de moindre succès commercial, le trou du début des années 901. Avec ce bémol que Sylvie Lainé a trop peu écrit pour qu'on puisse parler de flambeau à tenir ; et que le présent recueil, justement, rassemble une demi-douzaine de textes qui semblent se répartir en deux époques, 1985-87 d'un côté, et 2002-03 de l'autre. De part et d'autre du trou dont je parlais — hasard sans doute, nous sommes ici en train d'envisager des statistiques sur trois mesures… et de négliger l'élément individuel, capital et bien moins connaissable.

Lainé est concise. Et l'était encore plus dans les années 1980, à en juger par les échantillons présentés. "Un Rêve d'herbe"2, où l'expression "belle plante" (pour parler d'une femme) est littéralisée. "Question de mode"3, où l'étrangeté de la tenue vestimentaire est un appel à l'arrivée des extraterrestres. Et "Thérapie douce"4, variation brillante et cruelle sur le thème du philtre d'amour. Des remarques générales ? Avec les réserves émises ci-dessus, j'ai envie de dire que les textes pourraient relever autant du Fantastique que de la S.-F. — disons qu'on pourrait les y faire basculer en en modifiant peu de mots ; que l'amour est leur thème central, et que sur l'amour se pose un regard pour le moins amer et désabusé. Une magnifique citation donne le ton : « Cet homme […] avait le visage inconnu, déchirant et terrifiant de l'amour. » ("Thérapie douce", p. 49).

Déplaçons-nous de quinze ans vers le futur… dans les années 2000, l'amour reste le thème central du recueil. Parler de l'amour, voilà un défi que je ne suis pas sûr de relever. Tout au plus pourrai-je affirmer qu'avec le passage du temps, l'imagination de Sylvie Lainé a gagné en dimension scientifique. "la Bulle d'Euze" imagine des effets d'optique fantasmatique, et "la Mirotte" joue sur les caprices de la perception pour remettre en question toute la réalité du monde. Et "un Signe de Setty", bien entendu, ne serait pas ce qu'il est sans une bonne dose de culture en réalité virtuelle. Et si les extraterrestres sont à nouveau mêlés à l'intrigue, comme dans "Question de mode", c'est de façon moins futile.

Mais toujours comme des objets amoureux. Même si l'amour, version années 2000, devient moins problématique, moins cruel. Un problème toujours, mais qu'on peut attaquer, à condition d'avoir la méthode, d'accepter patiemment le travail, et l'incertitude du résultat. Bon, je vous avais bien dit que je n'étais pas la personne qu'il fallait pour parler de l'amour !

Jean-Claude Dunyach fait remarquer dans sa préface que le recueil « semble constitué d'instants parfaits » (p. 11). Oui, il en est truffé. Non, les textes plus longs se bâtissent sur autre chose que l'instant. Dunyach propose un fascinant “complexe de Wendy”, le fait de grandir à moitié seulement pour rester en contact avec le monde de l'enfance (à la différence de Peter Pan qui ne grandit jamais, et reste dans ce monde). Il n'explique pas tout (heureusement). En un sens, Lainé, l'auteur, a grandi à l'envers : désabusée il y a quinze ans, prête à attaquer le monde, et l'âme humaine, avec sa boîte à outils aujourd'hui. Les deux sont facettes sont étincelantes, cela va sans dire. Je m'arrête avant de faire courir à mon article le risque d'être plus long que le livre qu'il recense.

 lire par ailleurs dans KWS

Notes

  1. J'en parlais dans KWS, à propos des Chroniques du Premier Âge de Francis Valéry.
  2. Paru dans une anthologie en 1987.
  3. Un inédit, daté de 1985.
  4. Paru dans le Monde dimanche en 1985.