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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 60 la Dimension des miracles revisitée

Keep Watching the Skies! nº 60, juillet 2008

Robert Sheckley : la Dimension des miracles revisitée

(Dimension of miracles revisited)

roman de Science-Fiction

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chronique par Pascal J. Thomas

Quand, dans la Dimension des miracles, Tom Carmody se retrouvait au Centre galactique, c'était un accident. Une erreur du grand ordinateur central de la loterie galactique. S'en suivait une quête éperdue du retour sur la bonne Terre, qui était prétexte à la visite de mondes plus absurdes les uns que les autres, peuplés de personnages en général inquiétants, d'autant plus qu'ils pouvaient rappeler leurs modèles contemporains…

Quelque temps plus tard, le Centre galactique a bien changé. Tout le monde y est fasciné par le cinéma hollywoodien. Le Centre s'est doté d'un Roi de l'Espace Infini, et Tom Carmody est devenu une vedette. Et le Centre galactique ressent un profond besoin de Tom Carmody. Qu'à cela ne tienne, Sheesh, l'Envoyé, va aller chercher Tom Carmody… et pourtant, une nouvelle fois, le pauvre Tom se retrouve à moitié abandonné, perdu dans un Centre qui reste incompréhensible, entraîné par des inconnus dans des histoires qui ne le concernent pas. Et incapable de jamais rencontrer le Roi qui l'avait invité.

Il faut dire que le roman passe trop de temps avec le Roi (qui veut s'affranchir des pesants devoirs de sa charge), avec la fiancée du Roi, avec le Baron Corvo, chef de la police secrète du Roi… Ce roman est difficile à saisir : il démarre sans cesse de nouvelles pistes, introduit de nouveaux personnages, de nouvelles idées, sans paraître se préoccuper de ce qui avait été démarré dans les chapitres précédents. Par exemple, il est dit clairement que le Roi ne l'a pas toujours été, qu'aux débuts (?) du Centre galactique, c'était juste Ralph, un mec comme les autres. Mais la royauté obéit à une étiquette qui semble avoir derrière elle des siècles de tradition ; et plus loin dans le livre, une longue lignée familiale est invoquée pour le Baron Corvo. Sheckley a trop d'idées. Ou n'a pas assez travaillé pour produire un roman cohérent ? Il n'est plus là pour qu'on puisse lui demander, ou lui conseiller de faire plutôt un recueil de nouvelles. Et quand l'auteur intervient sans ambages dans le récit pour demander « Comment trouvez-vous ce récit ? Que pensez-vous qu'il va arriver ? […] Les réponses à ces questions ne peuvent être fournies tant que la réalité est en panne. » (p. 169), on se dit qu'on n’est pas loin du foutage de gueule.

En fait, il n'est pas de cliché du roman populaire que Sheckley ne parodie joyeusement à un moment ou un autre. Ce qui l'amène, en prenant le contre-pied d'un cliché ou d'un autre, à se contredire, et à s'engager dans des boucles infinies. Le Roi est un fantoche, destiné à être renversé par le chef de la Police Secrète. C'est un retournement, mais c'est déjà un cliché. Ledit chef, donc, se demande si c'est vraiment sa destinée que de renverser le Roi. Sheckley évite au moins de faire du Baron Corvo le chef secret des révolutionnaires (Van Vogt n'avait pas hésité dans les Fabricants d'armes !). La morale du livre, s'il y en a une est que « le but de tout système organisé […] est de s'auto-renverser » (p. 229). Mais il doit donc auto-renverser son auto-renversement, ajouterai-je, histoire de semer la confusion.

Pourtant, le livre non seulement fourmille d'idées, mais arrive à reconnecter une partie des fils généreusement semés, et témoigne de la créativité toujours fascinante de Sheckley. Il est trop court, il aurait dû être élagué de certaines pistes pour en développer d'autres — mais après tout, on aurait pu dire la même chose de La Dimension des miracles. Sheckley n'était pas un coureur de marathon, et une fois mise en exergue l'absurdité d'un détail de notre monde, préférait passer à autre chose. Armé de ce contrat implicite, vous pouvez attaquer la lecture. Et vous devez, si vous avez aimé un jour les visions narquoises et incisives de Robert Sheckley.

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