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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 59 Spin 2/2

Keep Watching the Skies! nº 59, janvier 2008

Robert Charles Wilson : Spin

(Spin)

roman de Science-Fiction

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chronique par Éric Vial

Ce roman commence dans quatre milliards d'années. Et il raconte la vie et la mort du système solaire. Plus la terraformation de Mars, l'évolution d'une humanité et d'une civilisation martienne, capable de prolonger l'existence humaine au prix d'une douloureuse mutation. Plus, sur la base des nanotechnologies, la création d'une forme d'intelligence radicalement étrangère, d'ampleur au moins galactique, existant antérieurement à ladite création — et ce n'est pas un paradoxe temporel —, et quasi-divine à notre échelle. Même si tout cela ne peut bien entendu qu'être raconté à assez grands traits, les amateurs des plus vastes perspectives offertes par la S.-F. ne peuvent qu'être ravis.

En même temps, les personnages supposés vivre dans un avenir difficilement pensable sont nos contemporains, pour ce qui est de leurs réactions mais aussi de leur biographie. De faux jumeaux, frère et sœur, lui programmé par un père despotique pour être un génie de sciences et de l'industrie, et victime d'une forme atypique et imaginaire de la sclérose en plaque, et elle finissant par s'engluer dans la religiosité obscurantiste de la Bible belt, et face à eux, le narrateur. La mère de celui-ci, veuve du meilleur ami et associé du despote déjà cité, a été embauchée par celui-ci et son épouse alcoolique, pour s'occuper de leur maison. Ces enfants grandissent ensemble, même si le clivage social reste permanent. Et ils font partie de ceux qui ont vu disparaître les étoiles. En effet, la Terre s'est trouvée enfermée dans une enveloppe incompréhensible, à l'intérieur de laquelle le temps s'écoule bien plus lentement qu'à l'extérieur : de quoi précipiter l'Humanité, en une génération, vers la fin du système solaire, donc vers sa propre inéluctable disparition. Pour l'immédiat cependant, une apparence de soleil continue d'éclairer la planète et de lui fournit une énergie tout à la fois indispensable et point trop excessive. Par ailleurs, l'enveloppe opaque filtre les rayonnements, ou les météorites, mais laisse passer les artefacts. D'où par exemple la possibilité de l'intervention sur Mars, qui prend tout à la fois des millénaires et quelques mois.

En fait, les pièces de ce puzzle, en apparence disparates, sont parfaitement ajustées. L'impossible se justifie fort bien, mais le plus tard possible. C'est là un des grands plaisirs de la S.-F., une des grandes sources de titillation des neurones. Et cela fonctionne à plein ici. Avec en prime le fait de retrouver des échos d'autres romans du même auteur, l'Asie du Sud-Est présente dans les Chronolithes, ou le continent inexploré s'ouvrant aux hommes dans Darwinia. Alors tant pis si certains ne sont pas tout à fait convaincus par l'articulation entre la fresque cosmogonique et le portrait psychologique des protagonistes, encore quelque peu feuilletonesque — mais on mesurera les progrès de l'auteur depuis le Vaisseau des voyageurs, qui pourtant n'était déjà pas un mauvais livre. Tant pis aussi si d'autres auraient souhaité que le traducteur dispose de plus de temps et de moyens, ou d'une relecture extérieure minutieuse, pour éliminer quelques scories. Tant pis aussi — ou peut-être tant mieux — si le discours, en apparence optimiste, est en réalité profondément désespéré : comme dans le dernier cité des romans de R.C. Wilson, seul un miracle, une intervention extérieure bien improbable, peut sauver notre planète et nous sauver nous-mêmes de nos déprédations… On a bel et bien affaire à un grand livre, avec ce qu'il faut d'imperfections et d'améliorations pour faire attendre avec impatience le suivant.

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