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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 59 le Vieil homme et la guerre

Keep Watching the Skies! nº 59, janvier 2008

John Scalzi : le Vieil homme et la guerre

(Old man's war)

roman de Science-Fiction

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chronique par Jean-Jacques Régnier

Comme pour le précédent, j'ai choisi de lire ce livre sur la base de divers critères, ici les critiques, les avis, et les prix. Toutes les critiques que j'ai lues étaient très favorables, les avis de beaucoup d'amateurs de mes amis, ainsi que de mon libraire favori étaient même parfois enthousiastes, et il y avait des récompenses, soit pour le livre (une “nomination” pour le Hugo 2006 — finalement remporté par Spin), soit pour son auteur (le John W. Campbell Award du meilleur nouvel auteur en août 2006). Une sorte d'unanimité dans la louange donc, allant parfois jusqu'au dithyrambe.

La “quatrième de couverture” était elle-même tentante, au moins dans sa première phrase (qui est l'incipit du livre) et dans ses prestigieuses comparaisons finales :

« J'ai fait deux choses le jour de mes soixante-quinze ans : je suis allé sur la tombe de ma femme. Puis je me suis engagé.

À soixante-quinze ans, l'âge requis, John Perry n'est pas le seul à intégrer les Forces de défense coloniale, billet pour les étoiles, mais sans retour. Rien ne le retient plus sur Terre. Combien d'années peut-il espérer vivre ? S'engager, c'est protéger l'expansion de l'Humanité dans la Galaxie, retrouver une seconde jeunesse et, à l'issue du service, obtenir le statut de colon sur une planète nouvelle. Mais qu'advient-il réellement de ces recrues ?

Dans la lignée d'Étoiles, garde-à-vous ! de Robert A. Heinlein et de la Guerre éternelle de Joe Haldeman, John Scalzi, pour son premier roman, a été finaliste du prix Hugo et a obtenu le prix Campbell du meilleur nouvel auteur de S.-F. »

Mais voilà : aux quelques réserves qui se sont malgré tout manifestées çà et là, je vais être obligé en ajouter une, et sévère : la mienne… Et ce n'est pas peu dire : je trouve en fait ce roman très mauvais.

Les deux premières phrases, données plus haut, donnent envie d'en savoir plus : pour moi, on vient de lire le meilleur du roman ! Car une idée de départ intéressante, une plume alerte et un style nerveux, ainsi qu'une manière parfois sympathique de raconter une histoire, ça ne suffit pas pour faire un bon texte de S.-F.

Devant cette (quasi) unanimité, je vais être obligé d'argumenter de manière un peu plus détaillée que d'habitude, et je vais donc essayer de sérier les problèmes que j'ai rencontrés, sachant que ces problèmes tournent presque autour de la question suivante : si on ne demande pas à la Science-Fiction de la vraisemblance — où serions-nous ? —, on peut exiger d'elle un minimum de cohérence, qui permet de croire un tant soit peu à ce qui nous est raconté. Or c'est de cela que ce livre me paraît manquer le plus, à divers niveaux…

Incohérences

L'intrigue est censée se dérouler dans environ cent cinquante à deux cents ans. Mais cette Union Coloniale (UC), qui est au centre de toute l'affaire, avec ses Forces de Défense coloniale (FDC), on ne sait ni d'où elle vient, ni quand elle est arrivée, dans quelles circonstances, avec quelles conséquences… Elle semble être composée de Terriens, mais lesquels ? Tout ça est hors de l'Histoire, ça ressemblerait presque à de la Fantasy ! Peut-être l'explication nous sera-t-elle donnée dans les tomes suivants — hélas, il y en a même déjà un ! —, mais on aimerait en savoir autant que les héros de base, quand même ! Or, eux-mêmes n'en disent rien, semblent s'en ficher complètement et, plus bizarrement, ne paraissent même rien en savoir du tout !

On ne sait d'ailleurs pas pourquoi les FDC ont besoin de renforts. En tout cas, ils recrutent. Mais on comprend assez mal la logique qui gouverne ce recrutement :

  1. Seuls des gens âgés peuvent être employés comme soldats : leur “expérience de la vie” n'étant pourtant pas vraiment mise à contribution — c'est même le contraire : voir le discours de leur adjudant —, on se demande bien pourquoi, car on pourrait trouver des volontaires autrement ;
  2. Seuls les habitants des pays qui « ne pouvaient plus nourrir leur population » (dont les Indes, le Kazakhstan mais aussi, figurez-vous, la Norvège !?) peuvent fournir des colons mais surtout pas des soldats (p. 36). Là non plus, pas d'explication ;
  3. Parmi les pays à faible natalité, seuls les USA semblent fournir effectivement des contingents — en tout cas on ne rencontre jamais de ressortissants d'autres pays —, ce qui nous laisse entre compatriotes de l'auteur, c'est quand même plus rassurant. On est donc en plein mode de vie US, et le fin du fin de la gastronomie est en permanence composé de hamburgers et de donuts arrosés de Coca. D'ailleurs, les membres des Forces eux-mêmes ne semblent parler qu'anglais puisque des colons indiens s'adressent à eux « avec un fort accent » (p. 48).

Un autre exemple, moins fondamental, mais tout aussi révélateur : les différents éléments biologiques ajoutés aux corps des vieillards pour qu'ils retrouvent une “seconde jeunesse”, tous fabriqués par Colonial Genetics (Deux siècles de fabrication des meilleurs organismes !), sont marqués du signe trade mark (™) alors qu'on nous explique en long et en large que la technologie des l'UC est tellement en avance sur celle de la Terre qu'il n'y a aucune chance que cette dernière la rattrape jamais. Il n'y a donc aucune utilité à “marquer” ainsi des produits qui ne seront jamais copiés : ce n'est qu'un “signe” décoratif, gratuit, illogique, d'ailleurs très à la mode en ce moment en S.-F. pour faire “vrai” — j'excepte celui qui figure dans le titre du roman de Jean-Marc Ligny, Aqua™, car là il a un sens et une justification très précis.

Évidemment, tous ces braves gens sont recrutés dans l'infanterie — dans l'artillerie, ce serait moins spectaculaire —, ils sont dotés de… fusils, certes perfectionnés, et affrontent des “missiles” moins efficaces que ceux que nous connaissons, puisque même pas auto-guidés : il suffit de « décrire [sic] une embardée » pour échapper à leur trajectoire (p. 256) ! On a même droit à une espèce de combat singulier (à cinq !), de “tournoi” au… couteau (p. 325 sqq). Certes, on ne risque pas d'être dépaysé mais, s'agissant de S.-F., on est en droit de le regretter un peu, non ?

Je suis prêt à accepter tous les postulats que l'on veut, à condition qu'ils forment un tout cohérent et argumenté. Rien de tel ici.

Les recrues rejoignent leur “garnison” grâce un ascenseur spatial (la “Tige de Haricot”) mis en place par l'Union Coloniale plus de cent ans auparavant, auquel eux et même leurs parents et grands-parents doivent donc être plutôt familiarisés ; on a cependant droit (p. 35-40) à une interminable discussion sur les mystères de cette technologie et plus généralement sur les capacités technologiques de l'UC, discussion qui n'a aucune raison d'avoir lieu ici encore une fois, sans doute spécialement pour nous. On ne nous explique d'ailleurs rien, sinon que l'UC — on ne sait toujours pas d'où elle vient — a une très forte avance technologique mais refuse de dévoiler quoi que ce soit ! On ne retrouve d'ailleurs plus jamais cet artefact après la page 47 !

Scalzi nous décrit en revanche dans le détail, p. 52-53, les effets de l'apesanteur, que nous connaissons, nous, à fond, depuis que Tintin est parti vers la Lune, et plus généralement depuis que nous lisons de la S.-F. Merci de nous en remettre une couche, mais on était déjà au courant…

Ces gens de l'UC disent être indifférents à la religion, mais on est dans un roman US ou on ne l'est pas, alors leurs discours d'accueil se terminent soit par « Que Dieu vous bénisse » (p. 56) soit par : « Que Dieu vous protège » (p. 136). On ne se refait pas !

Le héros, John Perry, découvre que les Consus, sorte d'aliens quadrumanes super-agressifs à carapace et pattes chitineuses (oui, oui…) ne sont mis hors de combat qu'après un deuxième coup de fusil, chose qu'il semble être le seul de son unité à avoir remarqué, lui le “bleu” ; il demande donc à son IA de tirer automatiquement un deuxième coup pour chacun et gagne ainsi une belle promotion pour cette brillante déduction, son IA, pourtant super-géniale, n'ayant évidemment pas trouvé ça avant lui, et les ennemis, trop idiots, n'ayant bien sûr imaginé aucune parade.

Les FDC semblent avoir des espions particulièrement habiles (et invisibles, inodores et sans saveur) chez des races pourtant pas du tout anthropomorphes et qui ne les fréquentent jamais, car un officier, parlant d'extraterrestres hostiles, dit : « selon nos meilleures sources, ils pensent que nous lancerons une attaque » (p. 247).

Tous les adversaires rencontrés par les Forces ont l'air frappés de débilité profonde, au moins sur le plan militaire, par exemple des homoncules de moins de cinq centimètres qui ne trouvent pas de meilleure tactique que de se précipiter sous les bottes des terriens pour se faire piétiner. D'ailleurs, les FDC gagnent toujours — sauf une fois, mais ce n'est bien sûr que partie remise —, tellement les gens d'en face sont stupides, ou enclins à des idiosyncrasies bizarres ou handicapantes.

Les seuls chez qui les FDC rencontrent quelque résistance ont en fait acheté leur technologie à d'autres, lesquels ont un sens de l'honneur tellement hypertrophié qu'il les rend presque faciles à battre.

Ainsi que tous ses camarades soldats de base, notre héros est considéré par les membres du corps d'élite (que l'on découvrira à la fin du roman) comme un individu estimable mais très limité, qui « bouge si lentement et pense si lentement » (p. 343), pas vraiment un sous-homme, mais presque. C'est pourtant lui que l'on laisse prendre des initiatives diplomatiques capitales pendant une très délicate et cruciale négociation.

Invraisemblances

Encore des exemples, en rappelant que tout ça est censé se passer dans environ cent cinquante à deux cents ans.

J. Perry et les données le concernant sont connues des Forces depuis des années, et il vient de parapher un document pré-imprimé pour son recrutement : pourtant la recruteuse « se tourna devant son ordinateur, tapa pendant quelques minutes puis enclencha [sic ! La VO dit : pressed] la touche Entrée ». Pourquoi pas une machine à écrire, pendant qu'on y est ? (p. 24).

On voit plus loin un représentant de l'UC demande leur carte d'identité aux recrues pour “ajouter” leur nom sur une liste ! (p. 52).

Une partie de ping-pong entre deux recrues dotées d'un corps renouvelé se termine par un match nul parce que « nos réflexes et notre coordination œil-main rendaient presque impossible de marquer un point. Nous nous renvoyâmes la balle pendant une demi-heure et nous aurions continué si elle ne s'était pas cassée… » (p. 130). Cet homme n'a jamais vu un vrai match de tennis de table, et ce type de performance ne se mesure pas qu'en termes quantitatifs…

On devrait pouvoir attendre d'un auteur de S.-F. autant de vraisemblance dans des éléments relevant des sciences humaines et sociales que pour ceux relevant des sciences “dures”. Scalzi n'en a cure, et il traite ces aspects avec une désinvolture désarmante…

Les présentations des situations géopolitiques menant à des conflits entre races différentes sont d'un infantilisme à pleurer — voir le déclenchement de la guerre avec les Rraeys anthropophages et amateurs de corail.

Toute la fin, que je n'ose pas dévoiler ici, s'appuie sur des sentiments qui ne reposent sur rien et qui relèvent du plus ridicule et sentimental roman à l'eau de rose…

Et puis bon, il y a des années que vous vivez avec votre corps — ici soixante-quinze ans, mais moins, ce doit être encore le cas —, jour et nuit, sept jours sur sept, vous y êtes habitués, c'est lui qui vous regarde dans la glace le matin, c'est lui qui vous fait mal ou qui vous fait jouir, c'est selon, pour tout dire vous ne faites qu'un avec lui. Et puis un beau matin, d'un coup, on vous l'enlève et on vous reverse dans un autre corps, plus jeune, costaud, mais un autre, quoi, avec des yeux fendus comme les chats, et en plus, tout vert. Alors vous vous regardez dans un miroir, et vous dites ? Je ne sais pas, mais moi, je crois que j'aurais un sacré choc, et que ça ne serait pas facile. J. Perry lui, doit savoir qu'il est dans un roman de S.-F. bas de gamme, alors il se contemple trente secondes avec une certaine complaisance, puis conclut sobrement : « Le nouveau bonhomme me plaisait. » (p. 109). Quelle invraisemblance, et surtout quelle occasion manquée d'approfondir un peu ce qui pourrait se passer dans la tête d'un individu lambda mis dans une pareille situation, et en particulier d'insister un peu sur la psychologie d'un vieil homme, ce que Scalzi ne fait qu'occasionnellement, de manière très superficielle et principalement à l'aide de clichés (Ah ! la prostate ! Quel gag hilarant !).

C'est cette façon de passer à côté de développements passionnants, ce manque permanent d'imagination, ce gaspillage d'idées mal exploitées qui me frustrent le plus dans ce roman. Cette histoire se passe dans environ deux siècles, mais tous ces braves gens se conduisent en fait comme en 2005…

Humour ?

Presque tout un chapitre est consacré à l'entraînement de la section par un adjudant : c'est une enfilade de clichés déjà mille fois lus ailleurs (et bien sûr vus au cinéma).

L'auteur a des obsessions récurrentes, celles qui lui paraissent du plus haut comique, comme par exemple les fonctions excrétoires, liquides et solides, ou celles qui l'horrifient totalement, comme la manie de certains extraterrestres d'aimer les humains… dans leur assiette !

Comme toujours, les bons sont bons, les méchants méchants, les imbéciles imbéciles, etc. Il n'y a qu'un exemple où d'horribles laids s'avèrent bons et, à l'inverse, de doux charmants se révèlent épouvantables (et anthropophages, évidemment), mais il n'est que théorique et dure seulement quelques lignes (p. 172-173) pour ne pas trop troubler le lecteur…

Si, allez, j'en ai quand même trouvé une qui m'a chatouillé les zygomatiques : la longue description d'une cauchemardesque créature extraterrestre qui se termine par un laconique : « H.P. Lovecraft se serait enfui en hurlant. » (p. 172).

D'ailleurs, je me suis parfois demandé au cours de ma lecture si tout le livre n'était pas en fait un gigantesque canular, une espèce de tentative de parodie drolatique et caricaturale d'un sous-genre atteint de sénescence et condamné à remâcher de vieilles recettes usées. Mais je ne crois pas, car Scalzi aurait sans doute alors poussé le bouchon bien plus loin dans la dérision. Dommage…

Car ce roman pourrait être une image emblématique d'une partie de la S.-F. : vieillissante, et donc supposée justiciable de traitements de rajeunissement artificiels. Mais là, le traitement en reste à la surface des choses, cette affaire de vieillards rénovés, qui aurait pu être émouvante ou intéressante, verse dans le ridicule, et il n'y a pas le moindre rajeunissement : on en reste à de la S.-F. cacochyme comme on n'en fait (presque) plus, à l'image de la couverture de l'édition française, laquelle n'évoque d'ailleurs même pas l'idée principale du livre…

Tout ça est dommage, parce qu'il y avait quelques bonnes idées, mais aucune des thématiques éventuellement ouvertes au début n'est exploitée sérieusement, et on se retrouve finalement avec de la castagne bête et méchante, au milieu d'un environnement qui relève plus de la magie que de la rationalité sociale ou technique…

S'il fallait convaincre certains que la S.-F. n'est pas une littérature pour adolescents, il ne faudrait surtout pas leur donner à lire ce roman… Cela dit, qu'il y ait encore des amateurs pour lire ce genre de S.-F., pourquoi pas, tous les goûts sont dans la nature et il est normal qu'il se trouve alors des professionnels pour profiter de ce débouché et pour en écrire mais le présélectionner pour le Hugo et encourager son auteur par un prix, là, vraiment, ça m'épate…

Je ne discuterai pas ici les éventuels aspects politiques du livre, l'apparence (et de nombreux épisodes) semblant relever de présupposés de droite (un ex-sénateur partisan de la négociation est bien sûr un imbécile, des grévistes sont bien sûr des sanguinaires, etc.), mais depuis Heinlein et Étoiles, garde-à-vous !, je sais qu'on peut aussi bien accuser qu'excuser un auteur sur des bases souvent bien frêles ; j'ai cependant du mal à croire qu'il faille obligatoirement se déguiser en militariste pour prouver son pacifisme… Quant à ce livre, comment oublier qu'il paraît au beau milieu d'une véritable guerre, très réelle celle-ci, en Iraq ? En tout cas, cet aspect-là au moins a fait débat aux États-Unis, sur l'internet… Il y est dit entre autres qu'il faut lire les trois volumes pour mieux comprendre la position de Scalzi. Je ne crois pas que j'en aurai le courage !

Une autre comparaison a été faite, avec la Guerre éternelle de Joe Haldeman. Elle ne tient pas une seconde : les personnages de Haldeman sont des adultes, pas des adolescents mal déguisés en vieillards comme ici. Et son intrigue a une solide cohérence interne et une signification universelle totale, alors que Scalzi termine la sienne en bêtifiante histoire de vieux couple…

Bizarrement, ce n'est que sur Amazon.com que j'ai trouvé des lecteurs majoritairement peu convaincus. Un d'entre eux, nommé Samuel Baylus, écrit : “‘infantile’ is the best description, not even rising to ‘adolescent’. Save your money on this wretched crap.”

C'est bien mon avis !