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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 57 C'est l'Inuit qui gardera le souvenir du Blanc

Keep Watching the Skies! nº 57, août 2007

Lilian Bathelot : C'est l'Inuit qui gardera le souvenir du Blanc

roman de Science-Fiction pour la jeunesse

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chronique par Pascal J. Thomas

Nous sommes en 2089 et Kisimiippunga est titulaire d'un doctorat en physique de l'université de Copenhague, et responsable de recherches importantes dans la République Inuit indépendante du Kalaallit Nunaat (le territoire que nous connaissons sous le nom de Groenland). Ce qui ne l'empêche pas de se livrer, comme tous ses compatriotes au même âge, au rituel de la première chasse, seule sur la glace avec un équipement d'une autre époque. Mais la Chasse est interrompue par l'arrivée inopinée d'un voyageur blanc, inconscient et gravement blessé. Au même moment qu'elle apprend que dans l'élevage de narvals où il travaille, un grave accident est arrivé à son fiancé, Knud.

Pendant ce temps à Montpellier, les policiers de la Sécurité nationale ne savent plus où donner de la tête pour retrouver leur collègue Diaz, qui s'est éclipsé après avoir, apparemment, désactivé son implant (le dispositif qui permet de suivre tous les citoyens, du moins ceux qui ont droit de cité dans les zones sécurisées). Hors de là, les Zones Franches se prêtent à tous les trafics… Le lien avec les Inuits va apparaître assez vite, mais les policiers, qui se reposent trop sur leur arsenal à la pointe de la technologie, ne sont pas au bout de leurs surprises.

L'univers ambiant du roman rappelle un peu celui de la série F.A.U.S.T. de Serge Lehman. Mais il est beaucoup plus rapide, et son intrigue est bâtie autour d'une seule idée : celle d'une révolte des Nations Premières par le biais d'une technique nouvelle leur permettant d'échapper aux moyens de surveillance électronique des pays du G16 — dont on devine qu'il a succédé à notre actuel G8 pour exercer un directoire sur la planète. C'est sympathique, mais cousu d'invraisemblances. J'ai toujours été quelque peu réfractaire à la pensée magique, et remettre en selle la sagesse ancestrale à l'aide de technologie ultra-moderne me paraît suffisamment peu cohérent pour relever, justement, de cette pensée magique à base de chamanisme-venu-du-fond-des-temps — à moins de faire un gros travail de justification.

Même en accordant le bénéfice du doute — et de ressources biologiques uniques au territoire — à un développement subit, dans les zones les moins peuplées de la planète, de technologies susceptibles de damer le pion au consortium des pays les plus avancés, je ne suis pas sûr que de soustraire les territoires des Nations Premières aux écrans de contrôle électroniques de la mondialisation constitue une menace aussi redoutable que ce roman veut bien le croire. Le livre passe aussi très vite sur nombre de détails pratiques. Comme une rapidité de déplacement sous-marin des “furtifs” des services du G16 qui fait fi de la mécanique des fluides, ou la préservation du mode de vie Inuit en dépit d'un changement climatique que nous savons inéluctable, et qui a déjà modifié le littoral du Groenland (en révélant comme des îles, par exemple, des morceaux de terre que l'on croyait péninsules quand ils étaient recouverts de glace). Bref, j'étais dans de mauvaises dispositions pour entretenir la suspension d'incrédulité nécessaire à la lecture immersive, surtout de S.-F…

Dommage, car le livre ne manque pas d'atouts. En premier lieu, une maîtrise du suspense et de l'action rapide. En second lieu, une connaissance profonde des lieux de l'action, qui doit sûrement plus à la documentation en ce qui concerne les Inuits (seul point agaçant, l'emploi à tort et à travers de la lettre dano-norvégienne ø pour un certain nombre de mots considérés comme occidentaux), et plus à la résidence (présumée) de l'auteur en ce qui concerne la région montpelliéraine — même si ladite région ne fait que de brèves apparitions. Je note avec amusement l'emploi p. 138 du verbe "dévarier" (de l'occitan desvariar), qui n'est français que par raccroc, par la grâce de l'épithète “régional”.

Côté personnages, je suis partagé ; c'est parfois taillé à la serpe, avec des Inuits trop uniformément idéaux, et des vilains flics occidentaux (y compris un ministre ridicule et colérique) trop confits de certitudes et prêts à invectiver leurs subordonnés. Mais on trouvera aussi dans les rangs des agents de la Sécurité des personnes plus ambiguës, qui laissent pointer le doute sur le bien-fondé de leur mission. L'histoire se termine trop vite pour que j'aie eu le temps de rentrer dans leur peau, mais leur dilemme est celui qui, en fin de compte, me paraît le plus attachant.

Conclusion ? Un livre original, qui ne dépare pas cet OVNI de l'édition S.-F. et Fantasy qu'est le Navire en pleine ville. Un livre à ne pas mettre entre les mains des grincheux pinailleurs. Mais une expérience intéressante.