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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 57 le Combat d'hiver

Keep Watching the Skies! nº 57, août 2007

Jean-Claude Mourlevat : le Combat d'hiver

roman de Politique-Fiction et de Fantasy pour la jeunesse

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chronique par Pascal J. Thomas

Helen et Milena coulent des journées tristes dans un internat pour orphelins qui ressemble à une prison. Seules les visites chez leurs consoleuses — pas plus de trois par an ! — leur permettent de tenir le coup. Et c'est à l'occasion d'une de ces trop rares sorties qu'elles rencontrent Bartolomeo et Milos, adolescents comme elles, pensionnaires de l'institution analogue pour garçons, mais qui ont décidé de s'enfuir. Malgré les risques, malgré les représailles qui attendent leurs camarades, ils finissent par le faire, avec une semaine de décalage.

Mais les pensionnaires ne sont pas des orphelins comme les autres. Leurs parents ont été exécutés par la Phalange, lors de sa prise de pouvoir ou peu après, pour cause d'opposition politique. Et la Phalange va pourchasser les enfants avec le même acharnement, en lançant à leur poursuite la police et ses hommes-chiens, qui ne parlent guère, mais n'ont pas leur pareil pour suivre une piste ou déchiqueter les proies qu'on leur désigne… Pourtant, les jours de la Phalange sont comptés. La voix d'or de Milena, la résistance sourde mais obstinée du peuple des hommes-chevaux, tout cela promet des miracles. Mais arriveront-ils avant le Combat d'hiver, auquel le malheureux Milos, embastillé dans un camp de gladiateurs, est promis comme victime sacrificielle ?

Situé dans une sorte d'univers parallèle, ou de pays imaginaire où se côtoient des patronymes européens de toutes sortes, le Combat d'hiver relève de la Fantasy par l'intervention des hommes-chiens et des hommes-chevaux, et de la politique-fiction par son thème (le fascisme expliqué aux enfants, grosso modo) ; mais il ne se projette pas dans le futur, et la technologie et l'ambiance culturelle du monde présenté — qui ignore la télévision, par exemple — évoquent précisément les années 30. Et la Mitteleuropa.

Le roman séduit immédiatement par une écriture juste, compassée, mais à peine, comme il faut. Les ressorts émotionnels sont sans doute convenus, mais diablement efficaces. Une galerie de personnages secondaires bien croqués (la pauvre fille injustement punie, le chef de la police lubrique et pétri de fantasmes artistiques, le restaurateur résistant au courage tranquille, le maître de meute à la barbarie méthodique…) donne toute sa vie au livre, qui oscille entre la fascination pour le personnage hors du commun de Milena, héritière du talent de sa mère et étincelle qui enflammera la rébellion, et l'identification avec le destin plus ordinaire, et plus émouvant, du couple Helen/Milos. Il y a de la naïveté à faire de la musique le moteur d'un mouvement populaire1, mais le livre, en dépit des détails de vécu sordide qu'il accumule, se place plutôt au niveau de l'allégorie.

Bref, une lecture agréable en tout point, édifiante sans en avoir l'air, et que dont le public adulte peut tirer son plaisir, autant que les “jeunes”.

Notes

  1. Je ne peux m'empêcher de citer ces vers ironiques du mathématicien et chansonnier américain Tom Lehrer : “Remember the war against Franco / That was really one for us / Even though we lost all the battles / We had all the best songs!”