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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 56 Colorado kid

Keep Watching the Skies! nº 56, janvier 2007

Stephen King : Colorado kid

(the Colorado kid)

thriller

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chronique par Philippe Paygnard

Sur l'île de Moose-Lookit, dans le Maine, il ne se passe pas grand-chose. Cela n'empêche pas Vince Teague et Dave Bowie, deux vieux briscards du journalisme à quelques encablures de la retraite, de remplir les colonnes du Weekly islander, le journal local. Ils ont également la chance d'accueillir dans leurs murs une jeune et jolie stagiaire, Stephanie McCann, qui redonne de la couleur à leur quotidien morose. Afin de la convaincre de rester, ils décident de lui révéler le mystère du Colorado Kid, un secret dont ils sont les seuls à tout savoir ou presque. Les deux vénérables journalistes racontent donc à Stephanie l'histoire de ce cadavre découvert, en avril 1980, sur une plage déserte de Moose-Lookit Island. Selon les premières constatations, l'inconnu est mort asphyxié par un morceau de steak et les seuls éléments susceptibles de permettre son identification se résument à un paquet de cigarettes et une pièce de monnaie russe.

Entre deux ouvrages titanesques1 dont il a le secret, Stephen King s'offre, avec ce petit thriller spécialement conçu pour l'éditeur Hard Case Crime, une brève escapade hors des mondes de l'Horreur et du Fantastique. Depuis 2004, date de création par Charles Ardai et Max Phillips, cette petite maison d'édition publie une alternance de rééditions avec des auteurs tels que Lawrence Block, Erle Stanley Gardner ou Day Keene, et des inédits concoctés par Max Phillips, Richard Aleas (pseudonyme d'Ardai), Max Allan Collins ou même Stephen King avec ce Colorado kid. Sous des couvertures au goût rétro signées par des artistes comme Glen Orbik ou Robert E. McGinnis, Hard Case Crime a pour ambition de proposer la quintessence du Polar dans tous ses états, bref du roman noir, du vrai hard-boiled.

Cependant, malgré cette profession de foi, le Colorado kid de Stephen King n'est en rien un polar pur et dur. On n'y trouve pas de détective désargenté, ni de femme fatale, pas de sexe, ni de violence. Le seul élément qui permette de rattacher ce court roman au genre Policier reste donc ce mystérieux cadavre qui n'apparaît d'ailleurs qu'à travers le récit des deux vieux journalistes. Mais, une fois encore, ce qui fait le charme et la puissance addictive des récits de Stephen King, ce n'est pas l'histoire, mais la composition pointue et détaillée des personnages. Et, tandis que King joue au chat et à la souris avec ses lecteurs, Vince et Dave font de même avec leur jeune stagiaire pour l'amener à découvrir les différents indices permettant d'identifier le défunt et, peut-être, les circonstances réelles de sa mort. À ce doublé-je, il faut ajouter les multiples clins d'œil que le romancier fait, à travers ses personnages, à la culture populaire et tout particulièrement à cette autre égérie de la littérature du Maine qu'est Jessica Fletcher, héroïne de fiction de la série télé Murder, she wrote (Arabesque). La narration de Vince et Dave fait également appel à quelques phénomènes inexpliqués dignes de Charles Fort. Mais au final, bien plus qu'une histoire, le récit de Vince et Dave constitue en fait le passage de flambeau de la vieille génération à la nouvelle, les deux vieux journalistes faisant ainsi de la jeune Stephanie leur héritière putative.

Colorado kid n'est pas sans rappeler un des chefs-d'œuvre de Stephen King, Dolores Claiborne2, dont l'action se passe également sur une île du Maine, celle de Little Tail, et dont la narration est confiée au seul personnage-titre du roman. Les ressemblances s'arrêtent là car Colorado kid est un bien plus petit livre, par la taille et par l'ambition littéraire, où Stephen King, avec son talent habituel et une certaine malice, s'amuse à mener ses lecteurs en bateau, en laissant croire que tous les mystères entourant la mort l'inconnu d'Hammock Beach seront révélés, alors que c'est loin d'être le cas.

Notes

  1. Il s'agit bien évidemment du septième et dernier volume de la Tour sombre paru en 2004 et de Cellulaire publié en 2006.
  2. À propos de Dolores Claiborne, on peut signaler qu'après Kathy Bates, c'est la comédienne Michèle Bernier qui va incarner Dolores dans, cette fois, l'adaptation théâtrale du roman de Stephen King au Théâtre des Bouffes Parisiens du 22 septembre au 31 octobre 2006.