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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 54 En mémoire de mes péchés

Keep Watching the Skies! nº 54, juillet 2006

Joe Haldeman : En mémoire de mes péchés

(All my sins remembered)

roman de Science-Fiction par nouvelles

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chronique par Éric Vial

Le fix-up est une vieille tradition en S.-F. Avec des résultats variables. Ici, on a en apparence trois nouvelles et demie, relatant des opérations menées par un agent spécial de la Condeferaciòn, sur quatre planètes et sous trois identités différentes. Avec de vagues debriefings intercalaires, qui donnent des aperçus peu sympathiques sur d'autres affaires, ou sur les mêmes. Et une conclusion assez désagréable pour réorienter la lecture de qui n'aurait pas compris avant.

Après un lever de rideau sous forme d'essai pour intervenir sur une planète où d'aucuns marquent une regrettable tendance à trucider les ambassadrices, on le retrouve, camouflé en xéno-anthropologue revenant sur une planète qu'il a étudié bien des années auparavant ; il enquête sur la disparition d'agents envoyés précédemment, et aussi sur la baisse de l'espérance de vie d'autochtones plutôt satisfaits de la situation. À l'épisode suivant, duelliste et assassin professionnel, il se trouve impliqué dans une conspiration destinée en apparence à transformer une société humaine tribale et violente, spécialisée dans le duel, la torture et l'arbitraire, en puissance spatiale apte à pirater le monde le plus voisin. Et pour finir, il devient un chef pseudo-religieux de secte néo-catholique vouée officiellement à évangéliser des insectes géants, immortels, hibernant une décennie en fonction des hoquets de leur étoile moribonde, et ayant manifestement été capables de convaincre leur monde d'aller orbiter plus près de la dite étoile en fonction de l'agonie d'icelle…

Dans les trois cas, le lecteur bénéficie d'exercices d'ethnologie fiction, que les protagonistes soient humains ou non. Et dans les trois cas, le lien avec les conditions matérielles est très fort — un peu moins peut-être dans le premier, encore que la religion des extra-terrestres renvoie aux modalités concrètes de leur mort ; en tout cas, la voracité de la faune locale dans un cas, les fantaisies astronomiques dans l'autre sont des points de départ fort concrets pour former et déformer une société humaine ou pas. Tout cela fournit un cadre et un moteur pour l'action. Dont on ne manque pas. Ca se massacre sinon joyeusement, du moins avec une grande conscience professionnelle. Et les affaires se révèlent fort logiquement être à double fond, avec traîtres, agents infiltrés amis ou ennemis, rebondissements, coups fourrés, coups tordus, coups de Jarnac, coups portés et coups reçus, etc.

Mais au-delà de la jamesbonderie galactique, le discours est aussi politique. Avec un crescendo. La dénonciation des intérêts économiques en est le premier degré, du côté de l'évidence même si cela fait toujours plaisir. D'autant que c'est sans manichéisme : le développement marchand est aussi le moyen de réformer un monde invivable, en le faisant passer de la violence institutionnalisée de l'état de nature et des pouvoirs héréditaires à un système plus ouvert, du moins si personne ne vient tout faire rater — après tout, c'est en gros comme cela que les choses ont évolué en Occident, même si cela a pris quelques siècles. Et pour finir, l'État confédéral, un gang et une compagnie privée sont en concurrence pour percer le mystère d'un procédé potentiellement plus que rentable. Ceci au niveau macro-historique. Pour ce qui est du héros, sous ses défroques successives à faire pâlir de jalousie — mais peut-être pas d'envie — le Peter Graves du temps de Mission impossible, il est de plus en plus directement confronté à l'absurde, d'autant qu'un background anglo-bouddhiste ne lui donnait guère vocation à se faire barbouze ni à envoyer ad patres une assez intéressante brochette de ses contemporains. S'y ajoutent la violence concrète, la perte de repères, la contamination même provisoire par les personnalités successives qu'il doit endosser, et qui semblent de plus en plus antipathiques au vu de l'échantillon qu'on en a, plus l'irritation assez naturelle et assez traditionnelle de l'opérateur de terrain face à l'autoritarisme arrogant et incompétent des décideurs planqués au centre du dispositif, plus quelques menus soupçons quant à la validité morale des buts des actions qui lui sont demandées…

Bref, au double fond des nouvelles, s'ajoute celui du roman. Le portrait d'un homme et de ses contradictions. La quatrième de couverture est d'ailleurs assez proche du compte en parlant de « réflexion incisive sur la violence d'État et la perversion du pouvoir » : c'est un peu grandiloquent, mais heureusement compensé par la notation sur « les apparences d'un space opera loufoque » — on se rapprocherait plutôt, en fait, de trois mini-planet operas. Cela dit, il y a peut-être un énième piège dans ce livre aux apparences inoffensives, qui pourrait presque se lire au tout premier degré, dont on pourrait même imaginer de tirer trois épisodes de feuilleton télévisé, et qui se révèle bien plus profond : en effet, si les quatrièmes de couverture commencent à donner des indications à peu près exactes, on ne va bientôt plus savoir à qui ou à quoi se fier.