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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 54 un Homme sans patrie

Keep Watching the Skies! nº 54, juillet 2006

Kurt Vonnegut, Jr. : un Homme sans patrie

(a Man without a country)

rédactionnel

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chronique par Éric Vial

Bon. On peut commencer par les déplorations. Récriminer. Trouver que ces notes éparses ne sont pas d'une extrême cohérence. Que c'est du vrac. Accessoirement, que le traducteur ignore quelques menues choses en Science-Fiction, cinématographique en l'occurrence, ce qui l'amène à un moment donné à parler d'une invasion de Martiens ou de “voleurs de cadavres” là où, à plein nez, on sent venir les “profanateurs de sépultures”. Bref, que si ce n'était pas Kurt Vonnegut, on n'aurait jamais publié ni traduit ce livre. Les plus jeunes et les plus mal embouchés se sentiront autorisés à ajouter que Vonnegut est désormais octogénaire et que ça peut se sentir.

Reste que c'est Vonnegut. Et qu'il y a là un document. Des protestations contre la bande de primates républicains va-t-en-guerre qui, à la faveur d'élections en Floride, où on avait rayé des listes une bonne partie de l'électorat supposé a priori démocrate, se sont emparés de la Maison Blanche. Mais aussi une vraie foi dans une autre Amérique. Celle du Blues. Celle des bibliothécaires qui ont su refuser la censure et le flicage que voulaient imposer lesdits primates. Celle de Mark Twain et d'Abraham Lincoln, c'est-à-dire celle des élites issues du peuple et non héritiers de milliardaires. Celle d'un mouvement socialiste bien oublié, autour d'Eugene Victor Debs — cela dira peut-être quelque chose aux lecteurs de Jack London — dont Vonnegut s'applique à montrer les liens avec le christianisme du Sermon sur la Montagne, des Béatitudes, en feignant de s'étonner que les primates sus-mentionnés, grands laudateurs des dix commandements, ne semblent guère se soucier de cet aspect-là de ce qu'ils affirment être leur foi.

S'y ajoutent tout de même quelques considérations sur la Science-Fiction. Autobiographiques. Sur les raisons pour lesquelles a été écrit Abattoir 5. Sur le fait que Vonnegut est président de l'American Humanist Association, qu'il y a succédé à Asimov, que la dite association ressemble un peu à une Libre Pensée, et que ce n'est pas incompatible avec ce qui a été dit du Sermon sur la Montagne tant on peut admirer le Christ pour son message sans trop se préoccuper de sa nature métaphysique. Sur une discussion avec Kilgore Trout, qu'il aurait été étonnant de ne pas voir apparaître, à propos du fait que la Terre est peut-être l'asile de fous de l'univers. Entre Science-Fiction et stricte réalité, sur la disparition prochaine des combustibles fossiles et sur notre capacité à rendre la Terre inhabitable. On peut même ajouter un chapitre sur un schéma rendant compte d'à peu près n'importe quelle intrigue, et appliqué pour l'exemple aux légendes des primitifs, à Cendrillon, à la Métamorphose et à Hamlet.

Dans le fond, on peut très légitimement trouver que cela vaut bien d'avaler d'autres considérations, sur les raisons pour lesquelles le petit Kurt a commencé à multiplier les plaisanteries, sur l'intérêt des familles étendues, ou sur les spécificités des germano-américains. Choses qui après tout ne sont pas si inintéressantes. Surtout si on est un fan de Vonnegut. Et il y a des chances pour que les lecteurs de KWS le soient…

Au total, les récrimineurs du premier paragraphe pourraient donc bien être invités à aller se faire peindre. Ils n'ont pas tout à fait tort, mais pour qui a lu et aimé Abattoir 5, le Berceau du chat ou le Pianiste déchaîné, ce (petit) livre mérite (et un peu plus) d'être lu.