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Keep Watching the Skies! nº 54, juillet 2006

Stephen King : Cellulaire

(Cell)

roman fantastique

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chronique par Philippe Paygnard

J'ai toujours trouvé que Stephen King était d'une redoutable efficacité lorsqu'il revisitait les grands thèmes classiques des littératures fantastiques et lorsqu'il prenait le temps de le faire dans des romans de longue haleine. Avec Cellulaire, King comble mes vœux en offrant une version très personnelle des histoires de zombies qui, depuis le film-culte de George A. Romero1, hantent sporadiquement les salles de cinéma et les librairies.

Les zombies ont d'ailleurs été très présents au cinéma ces dernières années avec le remake de Dawn of the dead par Zack Snyder en 2004, le parodique Shaun of the dead d'Edgar Wright, également en 2004, et le Territoire des morts, quatrième volet du cycle des morts-vivants de Romero, en 2005. Et si la littérature n'a guère offert de place aux zombies, mis à part l'excellent roman éponyme de Jean-Pierre Andrevon paru au Bélial' en 2004, la bande dessinée leur permet de s'exprimer avec la grandiloquence graphique qui leur sied. Les morts-vivants jouent ainsi les rôles principaux de Remains, une histoire de fin du monde écrite par Steve Niles et mise en images par Kieron Dwyer pour l'éditeur américain IDW en 2004 et publiée en France par Bamboo, ou bien la série les Zombies qui ont mangé le monde de Jerry Frissen et Guy Davis chez les Humanoïdes associés depuis 2004.

Le roman de Stephen King s'intègre parfaitement à cette nouvelle vague de zombies qui mêle classicisme et renouvellement du genre. D'ailleurs, le romancier ne nie aucunement la parenté de son dernier livre avec la Nuit des morts-vivants puisqu'il dédie son roman à George A. Romero (et aussi à Richard Matheson, l'auteur de Je suis une légende).

Cellulaire a donc d'évidents liens de parenté avec le long-métrage de Romero, mais les deux œuvres sont loin d'être identiques. Il y a certains points de convergence et de notables différences.

Ainsi, alors que le cinéaste a toujours évité de donner la moindre explication sur l'apparition des morts-vivants dans son film, s'amusant même à brouiller les pistes en faisant appel au vaudou dans le second opus, le romancier indique presque immédiatement quelle est la source du phénomène. Dès la page 38, Clay, le personnage principal de cette aventure, conseille à ceux qui ont échappé à la zombification d'éviter de se servir des téléphones portables. En effet, il suffit d'un appel passé ou reçu sur un cellulaire pour transformer son détenteur en une créature parfois suicidaire, mais le plus souvent mortellement agressive. Seuls ceux qui ne possédaient pas de portables comme Clay ou la jeune Alice, ou qui n'en avaient plus comme Tom, échappent à cette vague de folie.

À l'instar de George A. Romero, Stephen King nous invite à suivre un petit groupe de survivants dans un monde devenu fou. Cependant, alors que Romero les enferme dans une maison isolée, King les lance sur la route. Car Clay, leader malgré lui du petit groupe, n'a qu'une envie et qu'une obsession, rejoindre le Maine pour retrouver son fils. Face à la menace grandissante des zombies, qui se regroupent et s'organisent en troupeaux dévastateurs, Clay, Alice et Tom doivent changer de mode de vie pour survivre. Abandonnant le jour à ceux qu'ils appellent les cinglés, ils font de la nuit leur domaine, se déplaçant à la lueur des lampes dans un pays dévasté où toute autorité a disparu.

Alors que dans le premier film de George A. Romero, les morts-vivants n'ont aucune intelligence et semblent n'avoir que des instincts prédateurs2, les cinglés de Stephen King ne tardent guère à développer un esprit de groupe, une intelligence collective qui semble, et de beaucoup, supérieure à celle des individus survivants, surtout lorsqu'elle s'impose à ces derniers à travers des rêves obsédants proches de l'hypnose ou de la télépathie.

Pour Romero, il semble rapidement que la résistance des vivants face aux zombies est promise à l'échec. Réfugiés dans une maison en bois isolée, les quelques survivants de la Nuit des morts-vivants ne pourront jamais venir à bout des vagues successives de zombies qui ont parfois le visage d'un être cher. Dans Cellulaire, Clay et ses compagnons tentent de prendre les armes contre les cinglés, mais la destruction d'un troupeau est loin de constituer une victoire. Seul contre tous, le combat semble vain là encore et pourtant, à travers l'inébranlable détermination de Clay, Stephen King laisse perdurer une frêle mais réelle lueur d'espoir.

Après les milliers de pages de son cycle majeur de la Tour sombre, Stephen King s'offre et nous offre un moment de détente grâce à ce livre qui n'est pas sans rappeler certains grands classiques du maître de l'horreur. Enfin, si l'humour n'est pas des plus présent dans les quelque quatre cents pages de ce roman, on ne peut qu'apprécier au plus haut point la brève notice biographique qui précise que « Stephen King vit dans le Maine avec sa femme, la romancière Tabitha King. Il ne possède pas de téléphone portable. ».

Notes

  1. Après la Nuit des morts-vivants (Night of the living dead), en 1968, George A. Romero a poursuivi l'exploration de ce monde que les vivants sont contraints d'abandonner aux morts dans trois autres films. Il s'agit de Zombie (Dawn of the dead) en 1979, le Jour des morts-vivants (Day of the dead) en 1985 et le Territoire des morts (Land of the dead) en 2005.
  2. Il faut attendre le Jour des morts-vivants et surtout le Territoire des morts pour voir les zombies de Romero retrouver des réflexes issus de leur humanité perdue et développer une certaine intelligence de groupe.