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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 52 Kairo

Keep Watching the Skies! nº 52, novembre 2005

Kurosawa Kiyoshi : Kairo

(「回路」)

roman fantastique

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chronique par Philippe Paygnard

À vingt et un ans, Michi Kudō n'a pas encore pris de décision sur son avenir. Ses études terminées, elle a trouvé un travail d'intérimaire dans une petite entreprise à Tokyo. Lorsque l'un de ses collègues, informaticien, ne donne pas signe de vie durant plus d'une semaine, elle décide de se rendre chez lui. Elle compte bien le trouver en train de travailler sur son ordinateur dans son petit appartement de banlieue, mais au lieu de cela, elle arrive juste à temps pour assister à sa disparition. Elle le voit s'évaporer sous ses yeux.

Ainsi débute Kairo, le roman de Kurosawa Kyoshi. Sans aucun lien de parenté avec Kurosawa Akira, Kurosawa Kyoshi est un cinéaste talentueux qui se plaît à entraîner ses spectateurs dans des mondes où le quotidien et la normalité cèdent rapidement la place au fantastique et au surnaturel. C'est le Japon contemporain qui sert de décor à ses films, mais à chaque fois Kurosawa met en évidence les multiples contradictions de ce pays moderne, mais toujours enraciné dans les traditions. Pour ce faire, il introduit un élément qui vient perturber l'ordre normal des choses qu'il s'agisse du tueur diabolique de Cure, de l'arbre maléfique de Charisma ou bien des fantômes de Kairo1.

Car avant d'être un livre, Kairo est un film de Kurosawa Kyoshi. Les deux productions se ressemblent beaucoup et sont nées de la même réflexion. Pour autant, l'un n'est pas la copie parfaite de l'autre. Ainsi, certains personnages absents du film ont un rôle important dans le livre où Kurosawa s'hasarde à développer l'explication du phénomène qui frappe le Japon et le monde. Kairo le livre n'est donc pas à proprement parler une novélisation du long-métrage homonyme.

Kairo, dans sa version cinéma ainsi que dans sa déclinaison romanesque, peut être également vu comme une réplique au succès de la série Ring de Suzuki Kenji. Les œuvres de Suzuki et de Kurosawa ont à l'évidence certains points communs. Dans les deux cas, la tradition percute de plein fouet la modernité. En effet, les auteurs font appel aux créatures les plus classiques de la littérature fantastique que sont les fantômes et ils leur offrent de nouveaux moyens de hanter les vivants. Dans Ring, il s'agit de la désormais célèbre cassette vidéo maudite, alors que, dans Kairo, ce sont les ordinateurs et l'internet qui permettent aux spectres de s'attaquer aux vivants. La ressemblance ne s'arrête pas là puisque les deux auteurs finissent par comparer la progression du mal à une contamination virale pour laquelle il n'existe aucun vaccin.

Au-delà de ces similitudes, il existe cependant de nombreuses différences entre les deux romans. Ainsi, Ring peut se résumer à une banale mais terrifiante histoire de vengeance, alors que, pour Kairo, l'explication du phénomène n'est pas sans rappeler celle de l'Armée des morts, le film de George A. Romero. Quand il n'y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur Terre. Pour Kurosawa Kyoshi, les morts sont trop nombreux de l'autre côté et ils doivent se débarrasser des vivants pour prendre leur place. Ce qui permet à Kurosawa, dans la droite ligne d'un Romero, de faire dire à Makoto, l'un de ses personnages : « Terminée, l'époque de pleurer les morts. Car nous avons pris le parti de lutter contre ces créatures. ». Il s'agit cependant d'un combat sans espoir, car les vivants n'ont aucune arme à opposer aux fantômes. Il ne reste alors que deux solutions face à cette invasion, la fuite vers un hypothétique refuge ou le suicide qui ne fait que grossir les rangs des assaillants. Pourtant, Kurosawa Kyoshi ne semble pas aller jusqu'au bout de ses intentions. À plusieurs reprises, il oriente le récit vers une possible résistance contre l'invasion, avant de l'oublier complètement. Tout d'abord, dès le troisième chapitre, où une brève incursion aux États-Unis laisse entrevoir la découverte d'un remède contre la mort. Puis, à travers la mystérieuse organisation qui emploie le personnage de Makoto et qui semble préparer une résistance active, si ce n'est efficace, contre les spectres. En fait, il délaisse la partie action de son roman pour laisse prédominer la partie réflexion autour de ses deux personnages principaux, Michi Kudō et un étudiant nommé Ryōsuke Kawashima.

Arrivant après Ring, Kairo souffre forcément de la comparaison avec le roman de Suzuki Koji, mais ce qui sauve ce livre d'un oubli trop rapide, c'est certainement, au-delà de l'évident aspect fantastique, la dimension sociale qu'ajoute Kurusawa Kyoshi. Car le romancier prend le temps, entre les moments d'introspection de ses personnages et les attaques de fantômes, d'aborder les problèmes de communication entre ses concitoyens qui sont pourtant reliés par de tant de réseaux, téléphoniques, médiatiques ou informatiques, mais qui se retrouvent finalement bien souvent seuls devant leur écran.

Notes

  1. Disponible en DVD sur amazon.fr.