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Keep Watching the Skies! nº 50, janvier 2005

Jean-Pierre Andrevon : le Travail du furet

roman de Science-Fiction

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chronique par Philippe Paygnard

En ce xxie siècle, le Ministère de la Population veille avec efficacité au bien-être du peuple. Grâce à son action continue, les décès dus au cancer, aux maladies cardio-vasculaires et autres affections connues ont baissé jusqu'à des niveaux jamais atteints, comme le prouvent les statistiques officielles. Mais ce bien-être a un prix. Chaque année, quatre cent mille citoyens sont tirés au sort par Atropos, l'ordinateur central, et éliminés par des agents assermentés du Ministère, les Furets.

Le personnage principal du Travail du Furet est donc un assassin professionnel, un fonctionnaire du meurtre. C'est un tueur consciencieux sans état d'âme qui fait son travail avec une redoutable efficacité. Il n'est ni vraiment sympathique, comment aimer un homme qui tue de sang froid une dizaine de personnes par jour, ni totalement antipathique, comment détester un cinéphile amateur d'Humphrey Bogart, de Buster Keaton et qui baptise son poisson rouge Moby Dick. C'est ce Furet sans nom qui nous guide à travers le futur sombre et déprimant imaginé par Jean-Pierre Andrevon. Un monde où la pauvreté est loin d'avoir disparue et qui connaît ses ghettos pour pauvres et ses quartiers réservés aux riches. Mais, c'est aussi un monde où semble régner une certaine justice puisque nul, ni pauvre, ni riche, ne peut échapper au tirage au sort par l'incorruptible Atropos et à son exécution par les redoutables Furets. Tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, si un ancien collègue de notre Furet ne tentait de le convaincre que le système, si parfait en apparence, est faussé. Le tirage au sort ne serait qu'une illusion cachant une manipulation opérée au plus haut niveau du Ministère de la Population. Notre Furet commence alors à douter et il n'est jamais bon de se poser des questions lorsque l'on n'est qu'un rouage anonyme du système. Il ne se décide pourtant à passer à l'action que lorsqu'il découvre que son amie Jos est sur la liste des gibiers du jour. Il est peut-être déjà trop tard.

Réédité par les éditions Denoël en 2004, le Travail du Furet (à l'intérieur du poulailler) est paru, pour la première fois, il y a plus de vingt ans, dans la collection "Science-Fiction" des éditions J'ai lu. Comme le bon vin, ce livre s'est bonifié avec les ans et c'est avec un plaisir renouvelé qu'on peut suivre le Furet dans ses déplacements urbains, de la rue Claude-François jusqu'à l'allée Mireille-Mathieu, en passant par la rue Ronald-Reagan. On peut le voir se désaltérer au “buve-in” ou manger un morceau dans le “Fou Food” de la rue Alain-Delon, en prenant le temps de changer ses filtres nez-gorge Univox-Petit-Bateau. Au-delà de cette foultitude de clins d'œil, le Travail du Furet reste un texte visionnaire qui, dans la droite ligne d'un Soleil vert ou d'un Âge de cristal, propose, en apparence, une solution radicale au risque de surpopulation et d'épuisement des ressources. Mais ce n'est là que la partie visible de l'iceberg que constitue ce récit de Jean-Pierre Andrevon qui, malgré les ans, se révèle toujours d'une redoutable actualité dans une société où les responsables politiques comme les dirigeants d'entreprises s'appuient avec une certaine mauvaise foi sur des chiffres et des statistiques pour démontrer le bien-fondé de leurs actions.

Adapté à la télévision et plus récemment en bandes dessinées (trois tomes à paraître aux éditions Soleil), le Travail du Furet est l'une des œuvres majeures de Jean-Pierre Andrevon. L'auteur du récent Zombies : un horizon de cendres y déploie un humour grinçant et construit, avec une lucidité extrême, une mécanique parfaite jusqu'à son terme.