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Keep Watching the Skies! nº 50, janvier 2005

Johan Heliot : Faerie hackers

roman de Fantasy

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chronique par Pascal J. Thomas

D'un côté, Devil's Game, une entreprise en vogue de conception de jeux informatiques, menée par un patron tyrannique et charismatique, Marcus Kesner, et son inquiétant chef de la sécurité, le colossal Maser. De l'autre, une modeste professeur de collège, Lil, qui présente la particularité de savoir utiliser la magie pour réparer sa vétuste Ford Escort… et s'ouvrir un chemin entre notre monde et celui de Faerie. Il faut dire que Lil n'est que l'abréviation de Lillshellyann1, et que nous avons affaire à une fey, un esprit sylvestre exilé dans le monde de la Surface, comme disent les habitants de Faerie pour désigner le nôtre.

Bannie, Lil accepte quand même — contre compensations, exorbitantes de préférence — de reprendre du service pour le Roi Couleur de Faerie, par l'entremise de son capitaine des gardes, Lartagne2. Il s'agit de surveiller le Dauphin de Faerie, venu se faire soigner dans les hôpitaux de la Surface, beaucoup plus performants que la magie du Royaume féerique.

Mais quel rapport avec les joueurs en réseau, me direz-vous ? On le découvre assez vite — et sans vraie surprise — : l'univers du nouveau jeu proposé par Devil's Game n'a rien d'imaginaire, même s'il est féerique, et les démons se lancent à nouveau à l'assaut du Royaume de Faerie.

S'il se pare de quelques babioles apparemment technologiques (les ordinateurs quantiques utilisés par Devil's Game — censés être dûs au travail d'un physicien génial travaillant seul avec l'aide des ressources financières de la compagnie !), Faerie hackers est un roman de Fantasy pur sucre, très formaté. Ce qui nous change des constructions plus baroques d'Heliot, Fantasy à cadre uchronique3 (Reconquérants, la Lune seule le sait), Fantastique urbain (Obsidio), voire même space opera louchant sur le mystique (la Harpe des étoiles). Ici, la lutte entre le Bien et le Mal est une donnée jamais remise en question, la magie est liée à la nature — et aux sentiments de l'inconscient collectif —, les héros doivent sacrifier une part d'eux-mêmes pour triompher… et le roman est très efficacement organisé comme une montée vers l'affrontement final, avec une belle construction en flash-back emboîtés.

Le charme du livre, outre son indéniable réussite comme roman d'aventures, réside dans les retournements qu'il inflige aux clichés du genre. Que le jeu virtuel donne en fait accès à une autre réalité, on connaît depuis longtemps. Que les joueurs soient dans leur ensemble présentés comme des crétins malfaisants, voilà qui est un choix moins commercial ! D'autres audaces sont plus convenues ; la Shoah, ou plutôt “Shoah” (curieusement, Heliot se dispense d'article défini) est l'occasion de l'incursion dans le monde de la Surface des forces du Mal — on se reportera, par exemple, au premier roman de Lisa Goldstein, the Red magician — ; Faerie est le siège de luttes de libération socio-politiques — relire Phyllis Eisenstein ou Greg Bear ou Peter Beagle ou une foule d'autres — ; la musique humaine, à l'insu de ses auteurs, charrie une magie réelle — consulter les désormais nombreuses anthologies consacrées à ce thème.

Plus intéressant, sans doute, est la connotation très liée à l'Histoire de France et — ipso facto — au terroir parisien4 que prend le Faerie d'Heliot, en dépit de son titre anglophone. Le palais du Roi Couleur est un double de celui de Versailles (où se dissimulent nombre de points de passage entre Faerie et Surface) ; les monuments parisiens les plus connus bouillonnent de magie, bonne ou mauvaise ; et les démons appelés à la rescousse par Maser sont les fantômes des maréchaux de Napoléon Ier, symboles de la barbarie belliciste. Personnellement, en dépit de toutes les différences circonstancielles, j'ai du mal à percevoir une différence essentielle entre les systèmes de pouvoir mis au point par Bonaparte et par Louis Capet, quatorzième du nom, non plus qu'entre leurs politiques extérieures, alors qu'ils semblent être liés à des polarités opposées dans Faerie hackers. Passons. Le personnage central, celui de Lil, serait suffisamment dynamique et impertinent pour faire avaler des incohérences bien plus gênantes, et le roman se dévore d'une traite.

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Notes

  1. Qui n'est lui-même que la première partie d'un nom complet que seul un auteur vivant dans l'âge des traitements de texte et des copier/coller automatiques a pu avoir l'idée saugrenue d'utiliser.
  2. Oui. Les habitants de Faerie ne dédaignent pas, de temps à autre, s'incarner dans notre monde, et y rester les durées conséquentes que leur permet leur espérance de vie vastement supérieure à la nôtre. Ainsi Lartagne fut, sous les règnes de Louis XIII et XIV, un personnage historique mort au siège de Maastricht, dont la notoriété doit beaucoup plus au roman populaire qu'à l'Histoire.
  3. Les seules traces d'uchronie dans ce roman sont visiblement involontaires : l'épuration dont s'accompagne la Libération de 1944 est censée durer, avec son cortège d'exécutions sommaires, jusqu'en 1947. C'est à ranger dans le florilège des scories charriées par l'écriture étonnamment rapide et en général très juste d'Heliot, qui confondait libations et ablutions dans Obsidio, ou campe page 15 du présent ouvrage un personnage monstrueux parlant un allemand moins hésitant et qui tous les deux mots écorche la langue de Goethe.
  4. Je suis donc assez mal placé pour juger de façon compétente de cette aspect du livre.