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Keep Watching the Skies! nº 49, juillet 2004

Johan Heliot : Obsidio

recueil de fantastique et de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Jeune auteur prolifique, Johan Heliot ne risque pas d'être enfermé longtemps par l'étiquette uchronique/futur rétrospectif de ses trois premiers romans, la Lune seule le sait, Reconquérants et Pandemonium. Presque en même temps [1] que Faerie hackers chez Mnémos, voici un recueil de trois longs récits qui le montre en forme, et varié dans ses sources d'inspiration.

Deux des récits, en fait, ont chacun la longueur qui, aux beaux jours du Fleuve noir "Anticipation", aurait suffi à justifier un volume indépendant. Voire même aux beaux jours de "Présence du futur"… "Obsidio", qui clôt le livre, commence d'ailleurs comme un roman de Jean-Pierre Andrevon ; une galerie de banlieusards d'une ville de Bourgogne ou de Franche-Comté est présentée au moment où une catastrophe au ralenti commence à s'abattre sur leur quartier, coupé du monde extérieur et doucement enseveli par une étrange neige grise. On reconnaît vite le bourgeois antipathique et suffisant, le jeune révolté mais au bon fond, l'enseignante généreuse, le fils du peuple engagé sans trop le vouloir dans l'appareil répressif (policier municipal, ça ne va pas loin). Mais les choses deviennent vite plus étranges, et là où on aurait pu subodorer la SF politique française des années soixante-dix, on trouve plutôt des échos du film d'horreur politique américain des années soixante-dix, j'ai nommé la Nuit des morts-vivants de George Romero, incontournable référence du texte [2] .

"Maux blancs", qui ouvre le recueil, en est peut-être la portion la plus surprenante et la plus travaillée, en tout cas dans sa première partie. Un jeune assassin sort de prison, et pendant que nous le suivons dans ses premières journées à l'extérieur, son passé revient morceau par morceau : les journées passées enfant sur la banquette de la Mercedes de Papa, qui courait l'Europe — et même l'Amérique du Sud — à la recherche d'anciens Nazis à méthodiquement dessouder. De son père, le fils n'a retenu que peu de chose, si ce n'est la technique du meurtre.

Au sortir de la cage, une lettre du paternel lui donne un dernier contrat à exécuter… La nouvelle se fait alors brièvement road movie, destination les forêts du Jura, puis découverte d'un lieu maudit, d'une sorte de Shangri La inversé. La quête des origines se mêle alors à une lutte désespérée à la fois contre de petites crapules, un puissant service secret, et une créature surnaturelle.

Et ça finit par charger la barque ! Si Heliot était admirable dans sa construction en abyme du début, autant que dans les notations douces-amères sur son pays d'origine (le Jura), je le trouve moins convaincant lorsqu'il frise le lovecraftien. De même que le final apocalyptique d'"Obsidio" est beaucoup moins riche en nuances que sa description d'une banlieue sans issue — autant pour les pauvres que pour les petits riches. C'est, peut-être, la rançon de la rapidité, de l'étonnante facilité narrative du bonhomme — et avouons que cela faisait un moment qu'on n'en avait pas vu arriver des comme ça dans le milieu. Ce qui fait qu'au total les deux longs récits du recueil, même s'ils sont bons et vous tiennent jusqu'au bout, laissent un goût de pas bien fignolé. Un éditeur démiurge aurait-il pu tirer mieux du créateur ?

Heureusement il y a "Retour aux sources", une nouvelle tirée au cordeau, qui ne laisse pas un instant de répit. Un golden boy bien tranquille découvre des anomalies qu'il est seul à voir. Ou peut-être l'informaticien excentrique de la boîte comprend-il, parfois, le danger qui menace son collègue. Difficile à dire, car la réalité glisse à grande vitesse… Avec son mélange de doute sur le réel et d'apparitions de monstres à l'organicité répugnante (hommes à la face difforme), le texte rappelle — comme le fait justement remarquer la quatrième de couverture — David Cronenberg. Encore une référence cinématographique — ce n'est sûrement pas un hasard. En tout cas, un recueil bourré d'invention, et écrit avec beaucoup de talent.

Notes

[1]  C'était au printemps 2003. Depuis est paru un space opera fort intéressant chez Imaginaires sans frontières, la Harpe des étoiles, et plus récemment la Lune n'est pas pour nous, encore chez Mnémos. Tout ça depuis 2000. Arrêtez-le !

[2]  Notez, ça nous ramène finalement quand même à Andrevon ; voir la chronique de Zombies qui ouvre ce numéro de KWS.