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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 48 la Vie des ogres

Keep Watching the Skies! nº 48, janvier 2004

Odile Massé : la Vie des ogres

recueil de poésies de Fantasy ~ chroniqué par Éric Vial

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L'ogre appartient sans nul doute à la Fantasy. En tout cas aux contes et légendes, depuis fort longtemps, c'est-à-dire depuis, j'imagine, que l'être humain a dû justifier à ses propres yeux son premier génocide, la liquidation d'Abel, ce bon vieux Néanderthal. Par ailleurs, de façon manifeste, le cannibalisme, surtout façon Hannibal, a quelque chose à voir avec les littératures de l'imaginaire, quelles qu'en soient les raisons, résurgences du roman d'aventures justificateur du colonialisme, souci de repousser une activité masticatoire du côté de l'imaginaire, ou simplement cousinage entre “mauvais genres”. Mais en même temps, la perméabilité entre Fantasy et mainstream, liée à une commune faiblesse de l'imaginaire diraient les “SF integrists”, est particulièrement forte de ce côté-là. Peut-être pour cause de réalités, de coutumes ancestrales — mais tuer sans manger n'est-il pas le comble de la barbarie… —, en avion andin ou en criminel gastronome ; peut-être à cause d'ancrage commun du côté des frères Grimm, ces mauvais payeurs, de la Mère l'Oye ou de Perraut, notre feu ami le roi des contes. Sans doute aussi à cause des échos psychologiques, métaphoriques — et tout ça, et tout ça — qui naissent d'eux-mêmes du thème de la dévoration — surtout amoureuse.

On ne s'étonnera donc ni d'histoires d'ogres au Mercure de France, maison littéraire s'il en fut, dont les états de service dans l'imaginaire sont tout à fait réels mais remontent fort loin, ni de leur écho ici. Encore qu'on puisse à peine parler d'histoires. On est du côté du poème en prose (vieux cauchemar lycéen, la pire chose qui soit en matière d'explication littéraire composée, sans vraie histoire bien évidente, justement, à laquelle se raccrocher, et sans non plus les structures manifestes de la poésie classique). De cent vingt-deux poèmes en prose, pour être précis, dont cent vingt (ou CXX) numérotés, et longs de trois lignes à plus d'une page, exceptionnellement (le premier, introductif, non numéroté). En trois parties, avec outre l'introduction sus-évoquée, des intermèdes ("Paroles brèves de la très longue attente") et un envoi… Le tout, de fait, entre amour et dévoration. Le tout tenant par l'écriture, la répétition et l'obsession, l'image et le symbole — voire le pur jeu de mots quand quelques lignes par exemple prennent au pied de la lettre l'expression “femme tronc”. Avec, au centre, l'autre comme objet, animal dressé ou pomme qui tombe à l'automne, ou devenu objet quand les os bien nettoyés se font sculpture, le tout dans une totale symétrie d'ailleurs entre ogres et ogresses.

Le critique bavard a beau tourner en rond, il doit s'avouer vaincu. Il ne peut que recopier un échantillon. Que chacun juge sur pièce. Par exemple : « Elle avait des dents longues, si longues, et qui poussaient à chaque baiser, tant et tant longues, blanches et bien aiguisées, tant et tant qu'après neuf nuits d'amour elle dut jeter son homme, en s'essuyant les lèvres. » C'est la page 46… À vous de décider si, pour vous, cela vaut la peine d'aller voir le reste. Il se pourrait bien que oui.